Sébastien Sémeril : « Le cahier des charges pour accueillir l’Euro 2016 tenait dans une armoire »
Interview, partie 2. Après avoir évoqué les performances actuelles du club et tiré le bilan de l’ère Pinault, l’adjoint aux sports de la ville de Rennes aborde dans le détail « Stade Rennais Land », projet d’aménagement des alentours du stade de la Route de Lorient, ainsi que le retrait de la candidature de la ville de Rennes à l’organisation de l’Euro 2016.
Parlons de « Stade Rennais Land ». Pouvez-nous nous rappeler en quoi consiste le projet et son état à l’heure actuelle ?
Je n’aime pas le nom. Il est resté, mais cela me fait penser à Disneyland, et le but n’est pas de faire un Disneyland. Quand on dit « Stade Rennais Land », on a l’impression que le Stade Rennais veut faire du Disneyland sportif à côté de son cœur de métier qui consiste à organiser des matches. Non, ce n’est pas cela. Ce qu’il se passe, c’est que depuis dix ans, le championnat français vit grassement grâce à Canal+, qui dit gentiment et sûrement : « Ce n’est plus durable ». En parallèle, Orange jette l’éponge. Et je ne crois pas à la chaîne de la Ligue de Football Professionnel. Il y a un autre élément qui concerne l’ensemble du championnat français : la vétusté d’un certain nombre de stades.
« Il fallait pratiquement raser le stade et le reconstruire »
Nous avions donc candidaté à l’Euro 2016. Je convaincs le maire, nous y allons, pensant que le cahier des charges était amendable. On fait les études, etc., et à un moment donné le cahier des charges n’est pas amendable. J’ai été écœuré de ce que l’on me demandait. Quand on nous demande de construire une salle de 150 m² attenante à chaque vestiaire pour que les joueurs puissent faire leur préparation musculaire (est-ce qu’ils ne peuvent pas faire ça dehors, sur le terrain ?), d’élargir – par rapport à la Coupe du Monde 1998 – de 4 centimètres les sièges des VIP en largeur, je me dis que l’on commence vraiment à se fiche de moi. Ça, mis bout à bout, il fallait pratiquement raser le stade et le reconstruire. Le cahier des charges pour la Coupe du Monde 1998 tenait dans un cartable, aujourd’hui le cahier des charges de l’UEFA pour organiser l’Euro 2016 tient dans une armoire. On est dans un système de sur-normes hallucinantes. On est sur des choses un peu ubuesques. Beaucoup de normes ne concernent pas le domaine sportif, et ne sont jamais montrées du doigt. Dans le cahier des charges, on prévoit majoritairement des dispositifs pour l’accueil des sponsors, des VIP, pour la sécurité, etc. A un moment donné, on se dit « où est le football là -dedans ? ». Ethiquement, cela pose beaucoup de questions.
Le Stade de la Route de Lorient a été rénové en fonction de l’existant. En 2004, l’objectif, c’était de faire passer un stade de 20 000 places à un stade de 30 000 places. On a gardé l’ossature, on a monté les tribunes et on a pu faire des loges, les aménagements extérieurs, les différents bureaux en-dessous du stade. On partait de l’existant, on n’a pas tout démonté. Rappelez-vous, le stade a fonctionné. Pour l’Euro 2016, cela revenait à 40 millions d’euros. On avait mis autant en 2004, ce qui n’est pas si vieux. Cela fait un peu cher payé. En plus de cela, l’Etat, qui avait financé à hauteur de 40 % les rénovations des stades pour 1998, s’apprêtait à annoncer une enveloppe de 150 millions qui n’atteignait même pas les 10 % de l’investissement. On était vraiment seuls. On a eu une rencontre pour définitivement décider de ce que l’on faisait ou pas. On ne voulait pas faire comme certains ont fait, « On dépose et on verra bien » [NDLR : Strasbourg]. Pour Marseille, pour Lyon, c’est loin d’être gagné. Le président de la Fédération française de football [NDRL : à l’époque, Jean-Pierre Escalettes] nous l’avait dit, s’ils ont gardé Saint-Étienne, ce n’est pas pour l’historique. Ils sont persuadés que Lyon ne va pas marcher : derrière, il y a de la résistance, ce sont milliers de riverains qui s’y opposent.
« Un stade en cœur de ville, c’est l’avenir »
Cela faisait deux saisons pleines que le stade était pratiquement dans l’incapacité d’accueillir du public. En termes d’exploitation, ce n’est pas bon. On commençait les travaux l’année prochaine, il y en avait pour 18 mois, vous voyez la situation. On s’est donc dit, club et ville : « Non, on ne le fait pas » et on s’est retiré. Mais, ce que l’on a dit lors de cette réunion, c’est que le stade de la Route de Lorient était un beau stade, dixit Pinault, et que la capacité de 30 000 places étaient largement suffisante, même pour les vingt années qui viennent. En revanche, là où il y avait un point de vigilance à avoir, c’était que tous les projets de rénovation envisagés dans les villes portaient certes sur l’augmentation de la capacité d’accueil, mais aussi sur le fait d’avoir une zone de vie commerciale, économique autour, dans et à côté du stade. L’idée est simple : nous sommes dans une logique d’optimisation des investissements. Un équipement de ce niveau, occupé 2 à 4 fois par mois, c’est insuffisant. Il faut pouvoir accueillir du public plus souvent dans la semaine et, pendant les périodes de match, élargir le temps de présence. C’est ce qu’a fait l’Angleterre avec ses nouveaux stades. On a donc convenu que nous abandonnions le projet de l’Euro 2016, mais que l’on se mettait à travailler sur cette deuxième partie qui concerne la diversification économique et l’on a dit au Stade Rennais : « Faites-nous des propositions ». La genèse est simple : une rencontre d’intérêts – un intérêt entrepreneurial, le Stade Rennais, et un intérêt urbain, celui de la ville de Rennes. Nous avons des projets urbains autour du stade de la Route de Lorient comme on en a partout. On a convenu avec le Stade Rennais qu’il fallait que nos intérêts convergent, et que si l’on avait des opportunités, de travailler ensemble. La distance qui séparera la future station de métro de Cleunay est la même que celle qui sépare le stade de France de la station de RER.
Je suis très attaché au fait que le stade soit en cœur de ville. Je pense que c’est l’avenir. D’abord pour la ville, ensuite parce que demain il y aura des obligations environnementales. Demain, quand le litre d’essence sera à 3 ou 4 euros, cela s’imposera à nous. Avoir un stade en cœur de ville à 10 ou 15 minutes de la place de Bretagne, cela vaudra son pesant d’or. C’est là aussi qu’Edmond Hervé est un visionnaire, il a bien compris ce qui allait se passer dans les années à venir. La facilité aurait été de construire sur un champ de patates. En 2004, avec le même argent (40 millions d’euros), on aurait pu décider de faire un stade de 40 000 places, avec plein de choses autour. Mais il y a l’attachement historique. D’autre part, si le stade de la Route de Lorient est en cœur de ville, il a bien un inconvénient, qui peut se résoudre : il est un peu enclavé, entre la route de Lorient d’un côté et la Vilaine de l’autre. Ce qui manque, c’est une place, un lieu où l’on puisse voir le stade et l’admirer. Si on arrivait à faire rapprocher le stade de Cleunay et l’ouvrir un peu, faire une place, cela changerait totalement la donne. Surtout, cela peut valoriser les déplacements piétons. Le Stade Rennais est en train de travailler là -dessus.
« Lors de la finale de la Coupe de France, on a donné un exemple de sportivité, de fair-play, d’ambiance, d’amitié, d’engouement sportif »
Quand on dit que le Stade Rennais a besoin de diversifier son économie, c’est une réalité objective. Soit on y va et on les aide, soit on n’y va pas et après, il ne faut pas se plaindre de jouer le maintien ou d’être dans le ventre mou du championnat. On a un projet urbain : avoir un stade de la Route de Lorient qui respire un peu plus, plus ancré sur le territoire rennais et moins encastré. Après, le Stade Rennais veut diversifier son économie, à eux de trouver des idées et des lieux. Il y a des mutations urbaines, il y a des opportunités foncières. Il faut anticiper. Le stade de la Route de Lorient est là , il ne bougera pas, mais si on peut travailler à améliorer ses abords pour faciliter le développement économique du Stade Rennais et développer aussi un projet urbain qui permet de renforcer ce lieu, de le mettre en relation avec la ville, on ne va pas s’en priver.
Le Stade Rennais est en train de travailler, va sans doute se faire aider et nous aurons l’occasion de nous revoir comme on le fait très souvent avec le Stade Rennais. Qu’est-ce que l’on aura comme activités ? Des activités économiques qui tournent autour du football et du Stade Rennais. Cela peut être des activités sportives, restaurants, gymnasium, soccer, bars.
Rennes est-elle une ville de football ?
Oui, la Bretagne est une terre de football. Rennes est sa capitale, donc il n’y a pas de raison pour qu’elle ne soit pas à côté. Il y a deux disciplines qui ont structuré historiquement la vie sportive de la région et de la ville : le cyclisme et le football. Je vais vous donner une anecdote qui m’a marqué en tant que jeune élu. Le fameux 9 mai [NDLR : 9 mai 2009, jour de la finale de la Coupe de France entre Rennes et Guingamp], à 22h30, le DDSP (directeur départemental de la sécurité publique d’île de France) vient voir le préfet et lui dit « C’est historique, de mémoire de stade de France, nous n’avions jamais fermé aussi tôt le PC sécurité. Il est 22h30, je demande aux CRS de quitter le lieu ». Ça, c’est la Bretagne. On a donné un exemple de sportivité, de fair-play, d’ambiance, d’amitié, d’engouement sportif. Quand Escalettes vous dit, « Il y a deux moments forts qui marqueront l’histoire du stade de France : la finale de 1998 France – Brésil, et Rennes – Guingamp »… On a bluffé tout le monde.
« Michel Drucker était bluffé par l’ambiance »
Le football ne prend-il pas trop de place à Rennes par rapport à d’autres sports ?
Je crois que le football a fait sa mue. Il n’est plus dépendant des deniers publics. C’est une entreprise privée, qui assure un spectacle. C’est un business. Le seul intérêt des collectivités locales, c’est d’être propriétaire et de faire les travaux si nécessaire, mais après, la gestion du club, c’est à part. Est-ce que le Stade Rennais cannibalise tous les partenaires ? Non, car on a un actionnaire unique, Pinault. Les autres partenaires sont là plutôt dans une logique de communication. Il y a des complémentarités, voire des cumuls. Des partenaires économiques sont au handball ou au volleyball et ne sont pas au stade, et ne seront jamais au stade, parce que, pour eux, c’est bouché en termes de communication. Mieux vaut avoir son nom ou sa marque sur un maillot de volley que l’on voit à longueur de match plutôt que d’avoir un tout petit logo derrière un footballeur.
Le volleyball comme le handball peuvent remercier une locomotive comme le Stade Rennais, qui a su insuffler une logique de partenariats et initié il y a dix ans cette culture de l’entreprise, de la communication, que les entreprises n’avaient pas forcément l’occasion de faire. Les autres se sont servis du travail qui a été fait. Il y a de la place pour tout le monde, même s’il est vrai que le football draine les foules.
Vous êtes un élu très actif sur les réseaux sociaux. Que pensez-vous du Stade Rennais comme sujet de conversation sur ces réseaux sociaux ?
Le Stade Rennais commence à être de plus en plus présent sur les réseaux sociaux, et en bien. On a souffert d’une image négative. On parlait de réseaux d’influence. Je pense que les réseaux sociaux peuvent commencer à donner une image un peu nouvelle, un peu sympa. J’aime bien envoyer des images que j’ai filmées sur mon Facebook, pour montrer l’ambiance. Michel Drucker, par exemple, juste derrière moi [NDRL : lors de Rennes - Paris SG, le 5 février], était bluffé par l’ambiance. Et pourtant, Drucker, il a eu l’occasion d’assister à deux ou trois beaux spectacles dans sa carrière ! Vu l’âge, et le lien d’affinité qu’il a avec Dréossi et surtout avec Pinault, il ne dit pas ça pour faire plaisir. Il le dit sincèrement.
Pour revenir aux réseaux sociaux, le Stade Rennais pourrait, par exemple, mettre en place un Tweet Wall au stade où l’on verrait les tweets en direct sur les écrans. Les journalistes aussi pourraient tweeter. Je pense que c’est générationnel.