Mon interdiction de stade a été annulée mais le PSG m'a dégoûté
Sami Battikh | Journaliste freelance
Sami Battikh est un supporter du PSG, ancien abonné du virage Auteuil. Il a été interdit de stade en 2010 suite à une manifestation pacifique, comme il l'a déjà raconté sur Rue89. Il y a quelques jours, un an et demi après les faits, un tribunal a annulé cette décision. Pourtant, cette réhabilitation ne lui donne pas la moindre satisfaction. Comme d'autres fans du PSG, il a cessé de supporter son club, après deux ans de lutte pour que les ultras retrouvent leur place au Parc des Princes.
Durant le match PSG-Girondins de Bordeaux, le 10 avril 2010 au Parc des Princes (Benoît Tessier/Reuters)
Je supporte le PSG depuis près de vingt ans : douze ans d'abonnement en virage Auteuil pour plus de 300 matchs au Parc. Pourtant, si Montpellier pouvait remporter le titre devant les Parisiens, j'en serais le premier ravi.
Depuis deux ans, je n'arrive plus à aimer le PSG, je ne le supporte plus. Le supporter cherche autre chose que la meilleure équipe avec les meilleurs joueurs, il veut pouvoir vivre une passion irrationnelle et excessive, exprimer sa ferveur quels que soient les résultats.
Cette façon de vivre le foot n'est plus possible au PSG. La direction du club, avec l'aide de la préfecture et du ministère de l'Intérieur, a purgé le Parc des Princes de ses supporters pour les remplacer par des spectateurs.
Mon interdiction de stade est annulée un an et demi après les faits
Pour rappel : à l'été 2010, le PSG interdit les abonnements dans les deux tribunes populaires du Parc des Princes. Le placement dans ces tribunes devient aléatoire pour éviter tout regroupement, les associations de supporters sont dissoutes, de nombreux déplacements en province interdits.
Lors du premier match de la saison 2010/2011, j'étais porte d'Auteuil pour manifester contre ce plan du président Robin Leproux, baptisé « Tous PSG ». J'ai été embarqué par la police, ai passé une partie de la nuit au poste et été frappé de quatre mois d'interdiction de stade. Cela sans qu'il y ait eu le moindre débordement.
Plus d'un an et demi après les faits, le tribunal administratif vient d'annuler cette décision. Cette décision arrive bien trop tard. J'ai ainsi dû, comme près de 250 supporters parisiens, aller pointer au commissariat deux fois par soir à chaque match du PSG (à domicile comme à l'extérieur et quelle que soit la compétition). En cas de manquement, je risquais 3 750 euros d'amende et un an de prison.
La logique du présumé coupable a parfaitement fonctionné
Notre innocence vient d'être reconnue mais la logique du présumé coupable a parfaitement fonctionné : ces interdictions de stade, administratives et non judiciaires, ont permis d'empêcher une partie des anciens abonnés de protester.
Leur réputation a été salie auprès de leurs proches et ces interdictions ont servi à légitimer la fermeté de la préfecture et du PSG. C'est une politique sécuritaire performative. Evidemment, nos annulations d'interdiction de stade n'ont été que très peu relayées dans la presse, contrairement aux interdictions initiales.
Visiblement, le ministère de l'Intérieur, la préfecture et le PSG considèrent toujours ce recours comme l'arme absolue contre les anciens abonnés. Quelques jours après nos annulations d'IAS (interdiction administrative de stade), une nouvelle salve d'interdictions d'urgence frappe des dizaines d'anciens abonnés venus manifester au Camp des Loges. Cela sonne la fin de l'association « Liberté pour les abonnés » (LPA), qui vient d'annoncer son autodissolution.
Cette structure, créée en 2010, tentait d'ouvrir un dialogue avec la direction du PSG. Mais en deux années d'existence, cette asso, qui rassemblait plusieurs centaines de membres, n'a jamais été considérée comme un interlocuteur par le club.
Ces procédures d'urgence de maintien de l'ordre ne font réagir personne
Là encore, ces interdictions seront sans aucun doute annulées par le tribunal. Mais une nouvelle fois, l'IAS aura été purgée lorsque les personnes seront reconnues innocentes.
Il ne s'agit que de foot, donc pas de quoi s'alarmer. En tout cas, pas de quoi réveiller l'opposition ou la mairie de Paris sur de tels agissements. Sauf que, pour moi, ces pratiques révèlent des dérives inquiétantes de notre société.
Elles n'ont rien à envier aux dictatures arabes que nos responsables politiques présentaient jusqu'aux révolutions comme des modèles de démocratie. La préfecture use de procédures d'urgence de maintien de l'ordre pour mettre en œuvre la politique liberticide du gouvernement. Une mécanique imparable pour les contestataires qui pourrait très bien être élargie à d'autres domaines que le sport.
La répression a découragé les contestataires
Le lendemain de notre manifestation d'août 2010, Brice Hortefeux, alors ministre de l'Intérieur, demanda que toutes les personnes interpellées soient frappées d'interdiction de stade. Sans enquête. La préfecture s'exécuta sans broncher.
En asphyxiant les anciennes associations de supporters et en réprimant fermement tous les contestataires, le PSG, la préfecture et le ministère de l'Intérieur ont réussi leur coup : la plupart des anciens abonnés ont désormais abandonné l'espoir de retrouver leur passion.
Ceux encore motivés par la lutte sont obligés de le faire dans la clandestinité. La frustration et la brutalité des mesures vont pousser une partie d'entre eux à des actions de moins en moins pacifiques et de plus en plus désespérées. Je ne doute pas que ces actions de quelques dizaines de personnes seront parfaitement instrumentalisées par le PSG et les pouvoirs publics pour justifier leur politique de fermeté envers plus de 20 000 anciens abonnés.
Les supporters violents et racistes n'ont pas été touchés
Ces mesures liberticides n'ont en rien puni les 200 supporters les plus violents et/ou racistes que comptait le Parc des Princes avant le drame de PSG/OM en 2010. Aucun n'a été frappé par les récentes interdictions de stade.
Ces gens-là n'étaient pas structurés officiellement et continuent de vivre cachés – mais connus des services de police –. Ils n'en sont pas moins violents, pas moins racistes. La société ne s'en porte pas mieux. Simplement, lorsque le PSG joue au Parc, ces problèmes ne sont plus visibles.
La mort de Yann Lorence dans les affrontements entre supporters n'est pas la seule motivation de cette politique répressive. Le club est en rupture totale avec l'idée d'un football populaire, a voulu casser une contre-culture qui devenait un contre-pouvoir, dérangeant pour le PSG et les pouvoirs publics.
Eradication de la culture ultra
En quelques années, les dirigeants successifs ont réalisé une véritable éradication de la culture ultra. Du hip-hop underground au punk oi ! , Auteuil abritait un microcosme culturel assez rare.
Les différents groupes étaient autonomes financièrement, se refusaient à toucher quelconque subvention du club ou de l'État, vivant d'un autofinancement total grâce aux adhésions et aux différentes activités. Ils organisaient des concerts, des tournois de foot, des soirées et diffusaient leurs propres médias.
Les différents groupes d'Auteuil n'ont jamais été politisés au sens premier du terme. Mais par leur autonomie, les ultras ont développé un mode de vie à portée clairement politique et hautement subversive. Lorsqu'un mouvement compte des milliers de membres, cette contre-culture devient vite un contre-pouvoir, dérangeant pour la direction du club et pour les pouvoirs publics.
Le rejet des médias, de la culture dominante et de la pensée unique, le goût pour la provocation et la défiance envers les forces de l'ordre sont autant de caractéristiques que l'on retrouvera chez les ultras de Tunisie et d'Égypte, ceux-là même qui contribuèrent en partie à la radicalisation du Printemps arabe.
Les classes populaires n'ont plus leur place en tribune
Le nettoyage au Kärcher des ultras parisiens s'inscrit aussi dans l'objectif d'aseptiser les stades à l'approche de l'Euro 2016 en France.
Pour cacher la disparition de l'ambiance, la direction du PSG tente d'animer artificiellement le Parc des Princes d'une manière pathétique et qui révèle aux yeux de tous la rupture du club avec l'idée d'un football populaire. Elle applique aussi le modèle anglais en augmentant le prix des places.
Le dernier match de la saison au Parc ne sera pas accessible pour moins de 35 euros, en virage Auteuil. Il y a quelques années, mon abonnement dans cette même tribune coûtait 90 euros, pour 18 matches de championnat.
Ce phénomène devrait s'accentuer si les millions investis permettent de gagner des titres. Le déménagement du club au Stade de France en 2013, pendant la rénovation du Parc des Princes, sera le point d'orgue de cette mue du PSG. Un club bling-bling dans un stade sans âme, bâti pour en mettre plein la vue.