Depuis quand les appelle-t-on les Bleus ?
Pendant des décennies, on a surnommé l’équipe de France de football les « tricolores », parfois les « coqs ». Les supporters chantaient sur l’air des lampions: « allez la France, allez ». Des Bleus, il n’était pas question. L’expression n’est pas si vieille.
En 1958, par exemple, lorsque l’équipe de France va affronter le Brésil en demi-finale de la Coupe du monde, « L »Equipe » titre: « Les Tricolores ne partent pas battus ». Aucune allusion aux Bleus.
Les années passent, l’équipe de France va de défaite en défaite. On ne parle toujours pas des Bleus (même à l’âme). Quand, en 1968, la sélection perd à Strasbourg, contre la Norvège (0-1), un match qui hypothèque ses chances de qualification pour la Coupe du monde 1970, « L’Equipe » constate: « Les Tricolores ont vainement pressé leurs adversaires sur leur but ».
* Dans la foulée des Verts
Puis vient l’épopée de Saint-Etienne. A partir de 1974, la « fièvre verte » s’empare de la France du football. Saint-Etienne accède aux demi-finales de la Coupe des champions en 1975. Ce n’était pas arrivé à un club français depuis 1959. Puis c’est la finale de Glasgow (Bayern-Saint-Etienne, 1-0) la saison suivante. « Allez les Verts » est scandé dans les stades de France, de Navarre, et jusqu’en Ecosse. Le chanteur Jacques Monty en fait un tube.
C’est dans cette période que vont apparaître les Bleus. J’ai passé en revue tous les titres de une de « L’Equipe » concernant l’équipe de France de cette période des années 1970. Il y est toujours question des « tricolores » ou, banalement, de la France. Jusqu’au journal du 17 novembre 1976. Ce jour-là , l’équipe de France reçoit la République d’Irlande en match de qualification pour la Coupe du monde 1978.
En quelle couleur jouent les Irlandais ? Gagné: en vert. Le quotidien titre donc à la une:
La référence stéphanoise est claire. Le lien entre l’équipe de France naissante de Michel Hidalgo et les Verts désormais légendaires de Robert Herbin est explicite. Quatre Stéphanois figurent dans l’équipe de France du jour: Gérard Janvion, Christian Lopez, Dominique Bathenay et Dominique Rocheteau.
Les articles, en page intérieure, suggèrent le transfert espéré du Vert au Bleu. Jean-Philippe Réthacker écrit:
« Ce qu’il y a de plus efficace et de plus admirable chez un public sportif, c’est son aptitude à avaler les déceptions et à soutenir, quoi qu’il arrive, ceux qui jouent. Sur ce plan-là , les Britanniques donnent toujours la leçon. Et il y a déjà là une première victoire à remporter dans les tribunes, pour des « Allez les Bleus » chantés sur un air stéphanois… (les Verts seront en face !) »
Dans son éditorial voisin, Jacques Ferran retire les guillemets. C’est en quelque sorte un baptême des Bleus, quand il écrit: « Et puisque les Verts ont tracé le chemin qui conduit aux sommets internationaux, pourquoi les Bleus ne l’emprunteraient-ils pas ? »
Le soir, l’équipe de France l’emporte 2-0. Dans le compte rendu de « L’Equipe », le lendemain, Réthacker ne reparle pas des Bleus. Il cite trois fois les Tricolores et une fois les « jeunes coqs ». En revanche, dans un article voisin, Jean Cornu décrit l’ambiance du Parc: « Paris, dès le coup d’envoi, avait adopté les « Bleus » comme il avait adopté Reims autrefois »…
* Le Parc se met à chanter: « allez les Bleus »
Plus loin, le journaliste entend « une Marseillaise fervente, quoique un peu cacophonique, destinée à pousser les Bleus à l’assaut des Verts. Et, après un salut à la stéphanoise, les Français s’en vinrent en effet bousculer les Irlandais pendant un bon quart d’heure, sous les cris de « Allez les Bleus, allez les Bleus, allez ».
Les premiers "Bleus": debout de g. à d.: Baratelli, Bathenay, Bossis, Janvion, Trésor, Lopez; accroupis: Rocheteau, Keruzoré, Lacombe, Platini, Six
On ne l’assurerait pas, mais c’est peut-être la première fois que retentit cet air-là pour un match de l’équipe de France. J’ai demandé à Philippe Tournon, aujourd’hui chef de presse de l’équipe de France, à l’époque responsable de la rubrique football de « L’Equipe », s’il y avait eu un quelconque débat au sein de la rédaction sur l’opportunité d’utiliser cette expression. Il n’en a pas plus de souvenir que moi, qui travaillais aussi dans ce journal. « Cela a dû se faire assez naturellement, pense-t-il à 35 ans de distance. C’était dans l’air du temps. »Il est vraisemblable que c’est l’ambiance entourant Saint-Etienne – et son fameux slogan - qui a déteint sur les Bleus.
Néanmoins, l’emploi de l’expression « les Bleus » n’est pas encore systématique. Lors du match suivant (France-R.F.Allemagne, 1-0, le 23 février 1977), je ne l’ai trouvée qu’une fois dans les articles de « L’Equipe ». Et encore, c’est parce que trois nouveaux (Loïc Amisse, Patrick Battiston et André Rey) vont débuter le match comme titulaires (Bernard Zénier entrera en cours de match pour obtenir, lui aussi, sa première sélection), ce qui donne l’occasion d’un jeu de mots facile: « Trois « Bleus » chez les Bleus« .
Les premières fois que les Bleus font la une de »L’Equipe » sous ce label, c’est à l’occasion de la tournée qu’ils feront en Amérique du sud, au mois de juin 1977. Le 21 juin, jour du départ pour l’Argentine, le quotidien titre:
L’habitude est prise. Le 27 juin, après le premier match de la tournée (Argentine-France, 0-0), le digest de la une parle des « Bleus de Michel Hidalgo ». Le 30 juin, jour de Brésil-France (2-2), le titre qui barre la une est: « ONZE BLEUS DANS L’ »ENFER » DE MARACANA ».
Les guillemets ont disparu. Les tricolores vont disparaître, eux aussi, peu à peu. Les Bleus entrent en scène. Comme le titrera « L’Equipe » au début du Mundial argentin de 1978:
La une de L'Equipe, 2 juin 1978
Au siècle suivant, c’est devenu un nom commun et un label. Le 20 février 2012, la recherche de l’expression « les Bleus » sur Google offrait 10 300 000 résultats.
Didier Braun
Un bel article que l'on peut retrouver ici -> http://uneautrehistoiredufoot.blogs.lequipe.fr/2012/02/23/depuis-quand-les-appelle-t-on-les-bleus/
