ECONOMIE
Jean-Michel Aulas: "Le sport est un business comme les autres" Par Alexandre Buisine, publié le 12/07/2017 à 12:00
Le président de l'OL Jean-Michel Aulas a fait le show pour fêter le titre de championne de France de son équipe féminine. Image d'illustration.Avec le Parc Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas est en train de redessiner la ville: hôtels, parc de loisirs, bureaux, clinique du sport. Rencontre avec le magnat du sport business français.Vous avez eu deux vies professionnelles: la première à la tête de Cegid, devenu un géant mondial des logiciels professionnels, et, aujourd'hui, aux manettes de l'Olympique lyonnais, que vous pilotez comme une start-up. Comment avez-vous fait le pont entre ces deux vies ? En réalité, ces deux vies ne sont pas si différentes! Ce qui m'a plu dans l'OL, ce n'est pas tant le foot - même si je suis devenu un passionné - que la reprise d'une entreprise pour en faire un modèle sur le plan économique. Une start-up part d'une feuille blanche: vous pouvez gagner, mais il n'y a rien à perdre à part un peu d'argent. Lorsque j'ai fondé Cegid, j'ai investi tout ce que j'avais, c'est-à-dire pas énormément, et en faisant appel à tous les financements extérieurs possibles. Par sa croissance et grâce à des rachats, Cegid est devenu le n° 1 en France du logiciel d'application et de gestion. Il y a sept ans, nous avons été les premiers à croire au cloud et à faire évoluer nos programmes de gestion. Aujourd'hui, nous comptons 480 000 utilisateurs en cloud de nos applications. Le monde de l'OL n'est pas si différent: seuls les plus agiles survivent, quel que soit le secteur... On a la chance d'avoir gagné, avec les garçons et les filles, 41 titres en trente ans, mais on veut devenir référent au niveau européen. Il a donc fallu expliquer que, pour faire aussi bien qu'ailleurs sur le continent, les méthodes du monde associatif ne sont pas adaptées. Ce club est avant tout une entreprise qui a besoin de très lourds investissements, comme les 450 millions d'euros du stade.
"Les infrastructures doivent devenir source de profit"Pourquoi avez-vous cédé Cegid, en 2016? Parce que l'OL vous accaparait entièrement? Je ne souhaitais pas vendre. Mais Groupama voulait céder 30% des parts qu'il possédait. Je n'y étais pas préparé. Cependant, après discussions, nous avons décidé de faire une offre groupée. J'avais 67 ans, mon fils n'a jamais voulu travailler dans l'entreprise de son père... Je suis resté malgré tout président et je détiens encore 4% du capital. Ce qui, personnellement, me permet de continuer à apprendre en travaillant avec Silver Lake, le leader américain des fonds d'investissement, qui possède 150 milliards d'actifs dans les technologies. Pour un petit provincial né à L'Arbresle [Rhône], c'est comme si je m'étais associé à Microsoft!
Le sport est-il un business comme les autres ? Il est différent, mais il faut lui appliquer les mêmes méthodes que dans l'industrie ou les services informatiques, avec une vision à long terme. Au 30 juin, nous avons plus de 250 millions de fonds propres, soit 70 % de ceux du football français. Le stade est à la pointe du numérique et axé sur le développement durable. Mais c'est aussi un parc avec une gare de tram, une clinique du sport, un centre de loisirs... Je voudrais contribuer à définir le modèle de l'environnement sociétal de demain. Un endroit où les gens ont plaisir à voir jouer l'OL, à écouter Coldplay ou Céline Dion...
Quel est le modèle économique de l'OL ? Il se partage entre la gestion d'un des centres de formation les plus performants d'Europe et celle des infrastructures. Je veux qu'elles deviennent une source de profit et non un poste de coûts, comme pour bon nombre de collectivités. Rugby, foot, hockey sur glace... en tant que propriétaire, j'invite qui je veux, je fixe les prix et je prends les risques. On a aussi la plus belle équipe de foot féminin du monde, qui gagne tout. Je n'ai pas inventé ce modèle économique: il a été développé avec brio par les clubs anglais et allemands. Certains parleront de sport business. Moi, je préfère parler de vision économique du sport.
Le président de l'Olympique lyonnais Jean-Michel Aulas en compagnie des représentants du nouvel actionnaire chinois de l'OL et de l'ambassadeur français en Chine, le 13 décembre 2016 à Pékin"Il faut du public dans le stade tous les jours"Et ce, quels que soient les résultats sportifs ? L'idée est de ne plus en être dépendant. L'aléa sportif fait partie du modèle. Pour emprunter, il a fallu présenter aux banquiers un business plan sur vingt ans. S'il est fondé sur le foot, ça ne tient pas. Avec le centre de formation, le stade, etc., nous avons rendu la performance récurrente sans pour autant indiquer que nous serions champions tous les ans. Je veux qu'on fasse chaque année 50 millions d'euros de résultat positif. L'"ubérisation" de toutes les activités montre que plus rien n'est comme avant. Nous avons "ubérisé" les constructeurs de stade qui prenaient des centaines de millions de bénéfices sur les collectivités, les vendeurs de billetterie qui vivaient sur le dos des clubs, les droits télé grâce à notre propre production... On est dans un secteur d'activité qui était en déficit, mais devient équilibré et croît de 15 à 20% par an.
C'est en faisant fonctionner le stade 365 jours par an qu'on rentabilise un équipement à 450 millions? Oui. Avant, une entreprise achetait une loge pour aller 20 fois dans l'année au stade. Aujourd'hui, elle l'utilise quotidiennement comme bureau, pour recevoir des candidats, des clients, etc. Le 29 juin, il y avait ici 1800 personnes dans huit séminaires. Le musée qui va ouvrir drainera des centaines de milliers de visiteurs chaque année. Il y aura du public chaque jour de l'année, mais quelques fois seulement pour voir un match.
Un pari osé? Très risqué. Mais avec l'hôtel, le centre de loisirs, la clinique et les bureaux, j'espère rentabiliser ces 50 hectares.
"Je ne partirai qu'après avoir gagné une coupe d'Europe"Où en est le "nommage" du stade ? Nous allons signer avec Groupama.
Quelles sont les ambitions économiques et sportives du club avec un tel outil? Nous avons fait 220 millions d'euros de chiffre d'affaires l'an passé, contre 130 en 2015, et nous allons passer à 260 millions. L'objectif est d'être entre 300 et 400 millions d'ici à cinq ans. Côté sportif, nous voulons revenir au plus haut niveau français dans les deux ans et j'ai déjà dit que je ne partirai qu'après avoir gagné une coupe d'Europe. Nous venons d'ailleurs de remporter l'appel d'offres pour la finale 2018 de l'Europa League. Elle se jouera donc au Parc OL.
Attirer de grands événements dans cette enceinte, c'est parier sur le dynamisme de l'agglomération ? Grâce à la qualité de ces infrastructures, le match d'ouverture et la finale de la Coupe du monde de foot féminin se dérouleront en 2019 à Lyon. Filles ou garçons, ces rencontres n'ont jamais eu lieu en dehors de la capitale du pays organisateur. Vous vous rendez compte du symbole?
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