Quand Paris rêvait d'un derbyLe 2 octobre 1987, dans un Parc des Princes clairsemé, le Matra Racing à paillettes de Jean-Luc Lagardère bat le PSG de Francis Borelli (2-1) dans une affiche censée devenir l'un des rendez-vous du football français. Mais la rivalité fit long feu.Le football parisien semble frappé d'une forme de malédiction. Car, depuis la création du Championnat de France, jamais deux clubs de la capitale ne sont parvenus à occuper le haut de l'affiche ensemble. « Ils n'ont tous fait que se croiser, sans parvenir à être performants au même moment, que ce soit le Red Star, le Racing Paris, le CA Paris, le Club Français... », détaille l'historien Julien Sorez, auteur du Football dans Paris et ses banlieues. Et si, depuis la fin des années 1970, le Paris-Saint-Germain s'est progressivement affirmé comme un poids lourd du foot français, aucune autre formation locale n'est vraiment parvenue à briller à ses côtés.
Pourtant, cette malédiction séculaire a connu une exception, il y a trente ans, le 2 octobre 1987. Ce jour-là , le PSG, cinquième du Championnat, affrontait son poursuivant immédiat au classement, le Matra Racing. Ces deux formations s'étaient déjà croisées la saison précédente, mais elles n'évoluaient alors pas dans les mêmes sphères : les Parisiens, champions de France en 1986, prenaient un peu de haut les Racingmen, tout juste promus de Deuxième Division, qui terminèrent le Championnat à la treizième place.
Le 13 septembre 1986, Luis Fernandez, qui salue ici Dominique Rocheteau, dispute et gagne (2-1) son premier derby parisien avec le Matra. (L'Equipe)
En octobre 1987, le rapport de force est plus équilibré. Portés par leurs bons résultats obtenus en début de saison, les deux clubs symbolisent à ce moment-là la réussite de deux modèles dissemblables. Avec, d'un côté, un Paris-Saint-Germain, présidé par Francis Borelli depuis 1978, qui mise sur une forme de continuité, que ce soit à travers son financement (dans lequel la Mairie de Paris joue un rôle essentiel), son management (Gérard Houllier est sur le banc depuis 1985) ou son effectif, resté relativement stable au fil des saisons, à part sur le plan offensif. Et, de l'autre, le Racing, devenu Matra Racing en juillet 1987, qui s'avance comme une puissance émergente, financée, comme son nouveau nom l'indique, par une entreprise aux activités très larges : aéronautique, sport automobile, télécommunications...
Le patron de Matra, Jean-Luc Lagardère, rêve de faire de son club une vitrine internationale de ses ambitions. Il signe à prix d'or des joueurs de renom comme Maxime Bossis en 1985 (alors que le club est en D 2), puis Luis Fernandez, Pascal Olmeta, le milieu offensif uruguayen Enzo Francescoli et l'attaquant allemand Pierre Littbarski en 1986. À l'été 1987, ce recrutement clinquant se poursuit avec l'attaquant international français Gérard Buscher, le latéral néerlandais « Sonny » Silooy et surtout l'entraîneur portugais Artur Jorge, vainqueur au printemps précédent de la Coupe des clubs champions avec le FC Porto contre le Bayern (2-1).
Jean-Luc Lagardère avec Artur Jorge. L'entraîneur portugais restera au Matra jusqu'en 1989. Il reviendra à Paris en 1991, au PSG version Canal, et sera champion en 1994. (P. Boutroux/L'Équipe )
Ainsi renforcé, le Matra Racing, au début de la saison 1987-1988, paraît en position de concurrencer sportivement le PSG. Ce qui n'arrange pas les relations entre les deux clubs, déjà très fraîches. Notamment parce qu'en 1986 le PSG avait dû concéder à contrecoeur le partage du Parc des Princes avec son rival, qui avait eu en plus l'audace de recruter sa figure de proue, Luis Fernandez. Et, surtout, Borelli ne supporte pas la stratégie de Lagardère qui vise à faire du Racing l'équipe en vogue de la capitale, en incitant notamment ses joueurs à fréquenter des célébrités. « Au centre d'entraînement, il y avait un grand tableau qui recensait les spectacles où l'on pouvait se rendre. C'est comme ça que j'ai assisté à des concerts de George Michael ou de Prince, mais aussi à des avant-premières de théâtre et de cinéma, se remémore Buscher. Et après chaque match au Parc, les joueurs étaient invités à rester une heure dans un salon où l'on croisait le gratin de l'époque : Jacques Chirac (alors maire de Paris), Robert Hossein, mais aussi des acteurs et des mannequins. »
La bataille d'image que se livrent le Paris-Saint-Germain et le Matra Racing se prolonge fin septembre 1987 sur le terrain économique, car le choc du 2 octobre doit être retransmis sur Canal +. Il s'agit d'une première pour le Matra, qui, en tant que club hôte, devrait bénéficier de revenus complémentaires grâce à la présence des panneaux publicitaires autour de la pelouse. Problème, une convention liant la Ville de Paris au PSG interdit à tout autre club de générer de tels profits au Parc des Princes : un accord commercial entre les différentes parties n'est finalement trouvé que dans les heures précédant la rencontre.
En 1987, Enzo Francescoli déborde Michel Bibard. Habitué en Argentine aux « Superclasicos » Boca-River, l'Uruguayen regretta souvent le manque de passion populaire au Parc quand le Matra y jouait. (J.-C. Pichon/L'Équipe )
Celle-ci est présentée par la presse, et par les clubs eux-mêmes, comme un « derby ». Un terme un peu galvaudé puisque la dimension historique qu'il suppose est inexistante, mais qui suggère bien la rivalité opposant alors les deux clubs parisiens, sur le terrain et en dehors. Sous le titre « Mésentente cordiale », L'Équipe rappelle le jour du match qu'un « derby n'est jamais un match comme un autre », tandis que, un peu plus tôt, France Football salivait devant « cette grande saga des frères ennemis du Championnat » (le 29 septembre). À une période où le Championnat de France semble souvent un peu fade, alors que l'OM de Bernard Tapie n'a pas encore pris son envol, tous les acteurs concernés par ce « derby » ont intérêt à faire monter la sauce.
Dans le programme officiel de la rencontre, on peut lire cet avertissement : « Les mois, les années ne suffiront pas à dissiper la rivalité. » Vu ce contexte, les joueurs sont eux aussi assez remontés. « C'était particulier comme match, car on jouait dans le même stade, mais aussi parce qu'on avait été champions peu de temps auparavant, et là on avait la sensation que le Matra était venu pour nous détrôner », décrit aujourd'hui Michel Bibard, défenseur du PSG entre 1985 et 1991. « C'était LE match à remporter, se rappelle Buscher. Gagner contre eux, c'était un moyen de se faire respecter car on était souvent présentés comme des bourgeois, alors que le PSG était décrit comme le vrai club de Paris. »
1987 : À gauche en arrière-plan, Joël Bats, le gardien du PSG. Devant, Fabrice Poullain, Oumar Sene, Michel Bibard et Philippe Jeannol encerclent Bruno Germain. (J.-C. Pichon / L'Equipe)
Du match en lui-même, en revanche, pratiquement aucun des joueurs qui ont y pris part ne s'en souvient. Il faut dire qu'il n'avait guère été fameux. Le Matra s'est imposé 2-1, grâce à deux éclairs de Francescoli, auteur d'une frappe splendide détournée par Joël Bats sur Buscher (1-0, 23e), puis d'un enchaînement victorieux crochet-frappe au coeur de la surface adverse (2-0, 70e). La réduction du score par Philippe Jeannol, profitant d'un dégagement raté de Pascal Ometa (2-1, 85e), se révèle anecdotique. D'autant que l'image la plus marquante de la rencontre n'est pas à chercher sur la pelouse, mais dans les tribunes. Car, une fois que se sont dissipés les nombreux fumigènes craqués par les ultras du PSG en début de match, les rangées du Parc apparaissent soudainement bien désertées devant les caméras de Canal +. Seuls 17 132 spectateurs payants sont présents, accompagnés de 6 382 scolaires. Une affluence faiblarde, malgré les nombreux appels à la mobilisation lancés avant la rencontre dans France Football par les Matraciens (surnom des joueurs du Racing), à l'image du milieu de terrain Thierry Fernier, évoquant avec envie la perspective « d'un derby devant 40 000 personnes ». Dans le même article, son adversaire argentin Gabriel Calderon, passé auparavant par Independiente et le Betis Séville, affichait le même optimisme : « Pour moi, que le derby se déroule en Argentine, en Espagne ou en France, c'est du pareil au même. [...] Il y aura certainement le même engagement, la même envie de vaincre, la même passion qu'à Buenos Aires ou à Séville. » Ces attentes élevées expliquent la désillusion des Racingmen après la rencontre, malgré la victoire. « Ça, une fête ? Ça, un derby ? Rien du tout, c'était un match comme les autres, sans ambiance, sans passion... », lâchait Olmeta, désabusé.
Pascal Olmeta détourne un penalty de l'Argentin Gabriel Calderon. En février 1990, le RP1 bat le PSG (2-1). Quelques mois plus tard, il sera en D 2. (J.-C. Pichon / L'Equipe)
Ce succès face au « frère ennemi », qui devait être le symbole de l'affirmation du Matra Racing, illustre surtout, avec le recul, le faible engouement que suscitait le club. Alain Cayzac, qui a présidé le PSG entre 2006 et 2008, décrivait en ces termes l'ambiance qui régnait au Parc les jours de match des Matraciens : « Des soirées d'une grande tristesse. [...] La grande plaisanterie consistait à dire qu'au PSG tout le monde connaissait le nom des joueurs, alors qu'au Racing on connaissait ceux des supporters (*). »
Ce manque de soutien populaire, combiné à des tensions internes et à la défiance persistante des instances du football français, va précipiter le déclin brutal du Matra Racing, perceptible dès le début de l'année 1988. Une chute sportive qui aboutit, en avril 1989, au désengagement de Lagardère. De son côté, le PSG vit lui aussi des moments difficiles dans la foulée de ce « derby ». Quatre autres défaites vont suivre en Championnat, au point qu'octobre 1987 s'apparente au pire mois de toute l'histoire du PSG, qui terminera la saison à une triste quinzième place... À croire que les deux clubs étaient condamnés à payer le prix fort d'avoir rêvé tout haut à la possibilité d'un derby.
(*) Cité dans La Folle Histoire du PSG, de Damien Degorre et Jérôme Touboul