«Le football est devenu une économie régulée»FOOTBALL Vendredi 04 septembre 2015 Laurent Favre
Jean-Michel Aulas. Le président de l’OL a vanté la proximité de son futur stade, à seulement 75 minutes de Genève. (Jeff Pachoud/AFP) Jean-Michel Aulas a présenté son grand stade au tissu économique genevois. Le président de l’OL espère assurer ainsi l’avenir de son club
On dit parfois d’un grand succès littéraire qu’il a su «trouver son public». Jeudi, Jean-Michel Aulas, le président de l’Olympique Lyonnais (OL), était l’invité de la Chambre de commerce et d’industrie de Genève pour présenter son grand stade et peut-être, lui aussi, trouver son public. Il y avait foule en tout cas pour écouter l’homme fort du football français de ces quinze dernières années.
Depuis 1987, cet industriel (il a fondé la Cegid, société spécialisée dans le logiciel professionnel de comptabilité et de gestion) a porté l’OL de la deuxième division française aux sommets européens. Son bilan est remarquable: sept titres consécutifs de champion de France, une demi-finale de Ligue des champions (en 2010), 19 qualifications consécutives en coupes d’Europe. L’OL est également le deuxième meilleur club formateur sur le plan européen et un pionnier du professionnalisme dans le football féminin.
Jean-Michel Aulas, qui a vu disparaître l’ère du football soutenu par les collectivités locales, se lance aujourd’hui dans une nouvelle révolution. Le 10 janvier 2016, Lyon inaugurera contre Troyes son nouveau stade de 58 000 places. Construit sur le site de Décines-Charpieu, au carrefour de la métropole lyonnaise, de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry et des bretelles d’autoroutes pour Paris, Marseille et Genève, ce grand stade encore sans nom (le club espère trouver un parraineur) sera le premier 100% privé de France.
Il sera aussi «le plus connecté en Europe, voire au monde», selon Jean-Michel Aulas. Entièrement dédié aux relations d’affaires, le stade et son parc de 45 hectares offriront 365 jours par an aux fans comme aux VIP un espace totalement connecté, sécurisé, où toutes les transactions se feront sans cash, sans ticket papier et parfois sans quitter son siège.
Très en forme, visiblement rodé à l’exercice, Jean-Michel Aulas a séduit son auditoire. C’était bien son but et celui de la petite dizaine de personnes de l’OL qui l’accompagnait. Le club rhodanien cherche à attirer une clientèle genevoise amatrice de grands matchs ou demandeuse d’un cadre privilégié pour lier des relations d’affaires. A la sortie de la conférence, un petit prospectus avec des offres spéciales pour la Suisse était distribué. En déjeunant sur le pouce, le président Aulas a ensuite pris le temps de répondre aux questions de quelques journalistes suisses, dont Le Temps.
Le Temps: Pourquoi venir à Genève présenter votre stade?Jean-Michel Aulas: Parce que nous avons la volonté de rencontrer des gens organisés, performants, mais qui n’ont pas d’offre intéressante en matière de football de haut niveau. Nous sommes très lucides sur le potentiel économique de notre région: Lyon ne suffira pas. Nous nous faisons donc connaître à Paris, Londres, Bruxelles, Genève.
– Engager un joueur suisse peut-il entrer dans cette stratégie?– Nous en avons un, Kilian Pagliuca, qui a 19 ans et joue en équipe réserve. Nous avons aussi un accord de partenariat avec Lausanne.
– Prenez-vous un risque en construisant ce stade, dans lequel vous avez personnellement investi 110 millions d’euros?– Le risque aurait été de ne pas le construire. L’économie du football est devenue une économie régulée, pas si dangereuse que cela. Ces dernières années, nous avons passé d’une ère structurellement déficitaire à une ère d’équilibre. Ce qu’il faut, c’est bien tenir sur le moyen et le long terme. Aujourd’hui, un stade offre le plus gros levier de développement d’un club depuis l’instauration du fair-play financier par l’UEFA. Quand je l’ai expliqué aux banquiers genevois à qui je suis venu expliquer notre augmentation de capital en juillet dernier, j’ai senti une petite réserve. Mais c’est la réalité! Dans un contexte de crise globale, le football est un secteur de niche qui peut croître de 30% par an grâce aux droits télévisuels.
L’an dernier, nous avons réalisé 104 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cette saison, nous prévoyons d’en faire 180 millions. La différence, c’est la participation à la Ligue des champions, qui n’est pas planifiable, et les recettes du nouveau stade, qui, elles, sont prévisibles et peuvent pérenniser l’OL. Nous pensons pouvoir rembourser le stade en quinze ans, le Bayern Munich a entièrement payé le sien en seulement dix ans.
– La tendance européenne est plutôt de construire des stades de taille moyenne, souvent 40 000 places, pour que le stade soit toujours plein et pour qu’y avoir une place soit perçu comme un privilège. Vous faites le pari inverse du gigantisme, avec près de 50% de places de plus qu’à Gerland.– L’an dernier, nous avons eu un taux de remplissage de 95%, avec près de 36 000 spectateurs par match. On observe partout qu’un nouveau stade a un impact très fort sur l’affluence. Nous prévoyons donc de remplir le nouveau stade. Nous avons toutefois changé la répartition de la jauge, avec désormais 10 000 places «B2B» (Business to business), qui représentent 40% du chiffre d’affaires.
– Pour remplir ce stade, mieux vaut-il avoir de bons résultats ou produire du spectacle?– A moyen terme, il vaut mieux offrir un grand spectacle.
– Vous l’avez fait l’an dernier, avec de jeunes joueurs issus du centre de formation, ce qui vous a valu une cote de sympathie supérieure à celle de l’époque où vous gagniez sept titres consécutifs. Pourquoi être revenu à une politique d’achats de joueurs extérieurs?– Nous ne sommes pas revenus en arrière. Simplement cette année, il y a un momentum unique qu’il ne faut pas rater: un potentiel huitième de finale de Ligue des champions dans notre nouveau stade. Nous avons cherché à sécuriser cet objectif. Après, chaque transfert se justifie aisément: combler un manque ponctuel dans notre formation, saisir une bonne affaire. Dans le cas de Mathieu Valbuena, qui représente effectivement une opération financière importante, nous pensons qu’il peut mettre en valeur nos deux jeunes, Alexandre Lacazette et Nabil Fekir.
– Monaco vient de vendre 80 millions d’euros Anthony Martial, que vous aviez vendu pour seulement 5 millions un an plus tôt. Vous dites pourtant que vous ne pouviez pas mieux faire…– Oui, pour trois raisons. D’abord, la saison passée, la DNCG (l’organe de contrôle de la gestion des clubs français, ndlr), nous a obligés à vendre. J’ai appelé Monaco; ils voulaient Martial, le seul que nous ne voulions pas laisser partir. Alors on l’a cédé mais en gardant 20% de ses droits. Ce qui fait, et c’est la deuxième raison, que nous touchons aujourd’hui 20 millions sur son transfert à Manchester. Enfin, la présence de l’agent Jorge Mendes, très actif à Monaco comme à Manchester, a fait la différence sur ce dossier. Nous n’aurions jamais obtenu une telle somme directement.
– Etes-vous de ces dirigeants français qui se lamentent en voyant les clubs anglais acheter tous leurs meilleurs joueurs?– Je préfère y voir un appel d’air formidable et, comme au judo, utiliser la force de l’adversaire à mon profit. Les clubs anglais ont des moyens financiers illimités? Eh bien qu’ils achètent nos joueurs. Nous leur en vendrons d’autres, et petit à petit cet argent nous permettra de rattraper notre retard.
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