Vent de rigueur sur le foot français
Gendarme financier du foot français, la DNCG contrôle la bonne gestion des clubs. Coupables de dérapages financiers, plusieurs clubs ont déjà été relégués en division inférieure.
Loin des terrains, c'est dans un immeuble du XV° arrondissement de Paris que se joue en ce moment le sort de nombre de clubs de football français. Comme à chaque entre-saison, la redoutée Direction Nationale du Contrôle de Gestion passe au peigne fin la situation juridique et financière des clubs de football français.
Formalité pour certains clubs, moment d'angoisse pour d'autres : car si le budget dérape, la sanction n'est pas loin, qui peut aller d'un encadrement de la masse salariale à la relégation en division inférieure, voire à l'exclusion des compétitions.
Or, la DNCG ne chôme pas en ce début d'été. Un certain nombre de clubs, et pas des moindres, ont déjà subi ses foudres. Angers et Tours ont ainsi été relégués de Ligue 2 en National (3ème division), après avoir pourtant fini 6ème et 12ème de leur championnat. Même tarif, à l'échelon inférieur, pour Strasbourg, Cannes, Pacy-sur-Eure et Gap, qui, sous réserve d'appel, goûteront l'an prochain aux joies du CFA (championnat de France amateur, 4ème division). Cas extrême, le Sporting Toulon Var a même été exclu de toutes les compétitions nationales.
Encore la crise
Crise de zèle de la part du "gendarme financier" du foot français ? "On est là pour que les clubs évoluent à des niveaux qu'ils peuvent se permettre, et pour qu'ils n'explosent pas en vol, explique Cédric Chauvet, responsable de la DNCG. Il n'y a pas forcément plus de sanctions cette année que les précédentes. Mais c'est vrai qu'elles concernent des clubs de niveau un peu supérieur, et donc plus visibles". Leur point commun : une trésorerie défaillante. "Souvent des clubs qui étaient un peu justes depuis une saison, et que les restrictions de subventions de la part des collectivités ont mis en difficulté".
Car la crise n'a pas épargné le monde du football. "Le championnat anglais a été le premier touché, parce qu'il est très intégré à l'économie mondialisée et dépendant des banques, explique Didier Primault, économiste du sport au CDES de Limoges. Les répercussions sur le marché des transferts ont diffusé la crise en Europe. Par ailleurs, en France, la suppression du droit à l'image collective à fait perdre quelques dizaines de millions d'euros aux clubs".
Dans son dernier rapport financier, la Ligue de football professionnel s'inquiète du niveau d'endettement des clubs de Ligue 1 : 130 millions d'euros en 2009-2010, contre 34 la saison précédente. Le tableau français est certes moins catastrophique que celui des championnats espagnol ou anglais. Ce dernier atteignait la saison dernière une dette cumulée de 4 milliards d'euros.
Effet ciseau
Pourtant, aucun cador de Ligue 1 n'est à l'heure actuelle concerné par des sanctions - Cédric Chauvet refusant de dire si la situation en restera là . "Les gros clubs ont une meilleure capacité à encaisser des déficits importants, en raison de leur plus gros budgets et de leur capacité à mobilier médias et pouvoirs en cas de situations catastrophiques", explique Didier Primault. En 2001, l'OM n'avait dû qu'à la générosité de son propriétaire, le milliardaire Robert Louis-Dreyfus, de ne pas finir en deuxième division.
"En revanche, poursuit Primault, la situation est compliquée pour un club qui descend en Ligue 2, perdant beaucoup de droits TV au passage, alors que ceux-ci peuvent représenter jusqu'à 70% de ses revenus. Dans le même temps, des contrats de joueurs signés pour 2 ou 3 ans ne permettent pas toujours de baisser la masse salariale". Un "effet ciseau" dévastateur qu'a notamment expérimenté Grenoble. Le club, qui évoluait encore en Ligue 1 il y a deux ans, vient d'être mis en liquidation par le tribunal de commerce. Une autre vieille gloire du championnat, le RC Strasbourg (National), est elle aussi près de la catastrophe.
"C'est la mort du club"
Pour les survivants, il faut apprendre à faire avec des moyens réduits. Relégué en CFA en raison d'un déficit de 300 000 euros, le petit club de Pacy-sur-Eure, a accepté la sanction. Mais son président Benoît Soulevain craint des lendemains difficiles : "Je pense que la DNCG ne prend pas assez en compte les conséquences : les subventions de la FFF passent de 250 000 euros en National à 30 000 en CFA. Le Conseil général nous donnait 110 000 euros ; là , on espère négocier 40 000". De nombreux joueurs ont déjà quitté le club.
La sanction est peut-être encore plus amère lorsqu'elle prive un champion de montée en division supérieure, comme le Calais RUFC. En 2000, ce petit club de CFA entrait dans la légende en parvenant en finale de Coupe de France. Onze ans plus tard, il ne reste plus grand-chose de l'épopée : plombé par un déficit de 800 000 euros, Calais se traîne en cinquième division. Et y restera l'an prochain, malgré le titre obtenu cette saison.
"On a eu les yeux plus gros que le ventre, reconnaît le directeur du club Dominique Joly. La manne de la Coupe de France a été dilapidée, notamment dans des salaires mirobolants". Selon lui, loin de régler le problème, la non-montée pourrait aggraver la situation du club : "En montant en CFA, on dégagerait du bénéfice. En CFA2, c'est impossible. Pour l'instant on doit rembourser 5% de la dette chaque année. Dans deux ans, ce sera 15%. Si on ne monte pas, c'est la mort du club".
Fair-play financier
"On comprend la position des dirigeants, assure Cédric Chauvet. C'est sûr qu'une relégation n'aide pas le club. Mais s'il ne trouve pas de solutions, ce n'est pas à nous de le faire. Cela veut dire que le club jouait avec des moyens qu'il n'avait pas. On ne va pas non plus prendre le risque de laisser monter un club en situation délicate sur la simple hypothèse qu'il augmentera ses revenus à l'échelon supérieur".
Une rigueur excessive ? "Les clubs ont besoin d'être préservés contre leur propre turpitude, estime Didier Primault. On est dans une situation ultra-concurrentielle, il est tentant de faire des paris sur le marché des transferts. La DNCG est là pour dire : on ne vous laissera pas vous mettre en danger au-delà du raisonnable. C'est ce que n'ont pas les Espagnols ou les Italiens, dont les clubs dérivent sans sanction".
Pour le foot français, le bol d'air financier pourrait passer par l'Euro 2016, qui aura lieu dans l'hexagone : la construction ou la rénovation de grands stades un peu partout en France devrait générer de nouvelles ressources pour les clubs appelés à les occuper. L'achat de droits de retransmission de la Ligue 1 par Al Jazeera représente une manne financière inespérée. A terme, enfin, l'UEFA de Michel Platini espère imposer des règles de fair-play financier. Pour protéger le foot européen de sa propre démesure.
Source www.liberation.fr