Girondins de Bordeaux : un club choyé par la Ville ?En première ligne dans la fronde contre la taxe à 75 %, le club bénéficie de dispositifs très avantageux de la part de la Ville de BordeauxLe club ne paie que 1 250 euros de loyer pour le complexe du Haillan où il a effectué des travaux. (Photo illustration Thierry David)
La taxe à 75 % donne des boutons aux clubs de foot. Elle prévoit que les entreprises devront s’acquitter d’un impôt supplémentaire sur les salaires supérieurs à un million d’euros. Bien sûr, les grands clubs sportifs dont les Girondins de Bordeaux qui comptent quelques joueurs millionnaires voient rouge.
Lundi dernier, Nicolas de Tavernost, président de M6, actionnaire à 99 % du club, a annoncé qu’il envisageait carrément de quitter le football. Cette taxe temporaire entre 2013 et 2014 coûterait près de 6 millions d’euros à son club. Certes, à l’exception du PSG et de Monaco, la plupart des clubs français peinent à tenir le choc face aux budgets pléthoriques des grands clubs européens. Et les Girondins de Bordeaux ont effectivement perdu récemment le bénéfice du droit à l’image collectif.
Mais pour dresser un panorama complet de la situation, il convient également de relever que les Girondins, à l’instar de beaucoup de clubs d’envergure, bénéficient par ailleurs de conventions particulièrement avantageuses avec la collectivité qui les accueille. C’est en tout cas le constat dressé par la Cour des comptes dans un rapport datant de fin 2011.
Celle-ci avait notamment pointé le prix d’ami consenti par la Ville concernant la redevance liée à la mise à disposition du stade Chaban-Delmas. Celle-ci s’élève à 2 % des recettes « spectateurs » net, négligeant au passage de ponctionner « l’ensemble des avantages que retire l’occupant de l’équipement mis à sa disposition ». Résultat : pour l’année 2009 (l’année où il est devenu champion de France), le club a versé à la Ville 243 433 euros pour utiliser le stade.
Pourtant, chaque année, selon la Cour des comptes, les seuls frais de fonctionnement coûtent plus de 700 000 euros à la mairie. Sans compter les 3 millions d’euros investis entre 2003 et 2008 ! Mieux, alors qu’elle bénéficiait d’une rallonge de 2 % pour les matchs européens, en 2009, la mairie a généreusement décidé d’y renoncer.
La Cour relève en parallèle que pour l’utilisation du stade vélodrome (certes plus grand), la mairie de Marseille réclame 788 500 euros par an à l’OM !
Autre « avantage » pointé par la Cour des comptes, le loyer du complexe du Haillan. Pour 23,4 hectares de foncier, dix terrains de foot, un château de 2 139 mètres carrés, des vestiaires, un village de repos, et même une piscine, le club payait jusqu’en 2002, un loyer déjà peu prohibitif de 4 400 euros par mois. À cette date, contre la promesse de prendre à sa charge des travaux, le club a renégocié son bail aux petits oignons : 1 250 euros par mois !
Pas de quoi compenser pour la Cour des comptes, les dépenses prises en charge par la Ville pour le site : 373 206 euros en 2006, 523 983 en 2007, 405 975 euros en 2008…
« Il faut noter que le club a pris à sa charge de nombreux travaux sur le site qui incombaient au propriétaire pour près d’un million d’euros. Ils ont tout rénové eux-mêmes et sont assez généreux dans leur façon de s’ouvrir aux autres », défend Arielle Piazza, adjointe aux sports à la mairie de Bordeaux, reconnaissant néanmoins que le club a « l’usage exclusif du site ».
Reste que pour la Cour des comptes, il existe un « décalage entre les frais pris en charge par la Ville et le montant des redevances demandées », que ce soit pour le stade ou pour le site du Haillan.
« Un choix politique assumé », répond Arielle Piazza. « Il est de notre devoir de fournir des équipements de qualité à un club qui fait partie de notre histoire. Il fait par ailleurs de gros efforts tant de transparence que de réduction de masse salariale. D’autre part, parallèlement à ces avantages, nous les subventionnons très peu (autour d’1 million d’euros). Notre souci est aussi que les subventions n’alimentent pas une entreprise privée. Le grand stade va inévitablement rebattre les cartes. Car il faut rappeler qu’ils sont pour l’instant le seul club français à s’engager autant financièrement dans la construction d’un nouveau stade. »
Mais en attendant, si dans son dernier rapport, la Cour des comptes reconnaît que le niveau de subvention officiel n’est pas démesuré, elle voit d’un mauvais œil une éventuelle « confusion » entre le jeu des subventions (qui ne peuvent être allouées qu’en lien avec une mission d’intérêt général) et celui des redevances. Elle craint que le faible niveau de ces dernières puisse être qualifié, lui, « de subventions en nature ».
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Déjà un joli cadeau fiscal
En matière de fiscalité, le club des Girondins fait également partie des clubs privilégiés. Les événements sportifs sont théoriquement assujettis à la très décriée taxe spectacle. En clair, les organisateurs de manifestations doivent selon la loi reverser entre 8 et 12 % des recettes guichet au titre de cet impôt local. Seuls en sont exonérés d’office les sports générant une faible économie tels le base-ball ou le curling.
Dans la réalité, certains clubs de foot bénéficient d’exonérations dérogatoires votées par les Conseils municipaux. En votant en 2001, l’extension de l’exonération à toutes les manifestations sportives, la Ville de Bordeaux faisait évidemment le bonheur du premier contributeur : le club des Girondins. La manne est loin d’être insignifiante. Selon le rapport Besson sur le football professionnel, en 2008, avec 7 millions d’euros de recettes guichet, s’il avait dû la payer, le club aurait reversé (au taux le plus bas) 500 000 euros à la Ville de Bordeaux. Mais rapporté aux prévisions du grand stade (de 20 à 30 millions de recettes guichet et recettes VIP), l’ardoise pourrait se situer dans une fourchette de 1,2 à 2,8 millions pour une année.
De quoi donner des idées. « Estimé en valeur 2015, le manque à gagner sur les trente ans du partenariat public privé du grand stade serait de 29 à 66 millions d’euros. C’est une à deux fois le montant des subventions données d’ici 2015 par le Conseil régional et la CUB ! », tacle le conseiller régional EELV, Patrick du Fau de Lamothe, également expert comptable.
Il faut dire que la suppression de la taxe spectacle fait l’objet d’un intense lobbying de la part des clubs sportifs qui pointent des inégalités entre eux. Parmi les heureux exonérés, figuraient en 2008 Lyon, Marseille, Lens, Monaco… Mais douze clubs de Ligue 1 la payaient toujours. Dont Lille, Rennes et le PSG. Récemment, le club parisien, plus gros contributeur, a tenté le tout pour le tout en s’en remettant au Conseil constitutionnel. Qui l’a renvoyé dans les cordes, jugeant son assujettissement voulu par la Ville de Paris conforme à la Constitution.
« L’argent des pauvres »
« À Bordeaux, cette exonération fait partie des avantages dont bénéficient les Girondins. C’est un choix politique du moment. Il est clair qu’avec le grand stade, nous arrivons à la fin d’un processus d’accompagnement mérité mais généreux. Le grand stade va marquer un passage, ne serait-ce que par le loyer de 3,8 millions que va payer le club », explique Arielle Piazza, sans s’avancer sur un éventuel retour de la taxe. « Ce qui est gênant, c’est que selon le Code des impôts, un tiers des revenus de la taxe spectacle est en théorie censée revenir aux CCAS. C’est un peu comme si la solidarité avec les pauvres payait le football professionnel », déplore Patrick du Fau de Lamothe. Le débat est donc loin d’être clos.
Y. St-S.