Je suis tombé aujourd'hui sur cet article du Monde daté du 27 septembre dernier qui cite une phrase de Lorenzetti concernant l'Arena, phrase que j'ai mis en gras et en bleu marine (à priori le projet semble se décanter)
Le Racing Métro en classe affaires
LE MONDE SPORT ET FORME | 27.09.2013 Ã 10h28 |
C'est devenu évident au moment d'enfiler la surchaussure de luxe, version clinique privée, rendue obligatoire pour pénétrer dans le vestiaire des joueurs pro, sorte d'ersatz de bloc chirurgical. Là , au Plessis-Robinson, en banlieue parisienne, on s'est définitivement convaincu d'entrer de plain-pied, et un peu frissonnant quand même, dans un club de science-fiction à la Tricatel, numéro de série robotisé : RM92. Pour Racing Métro 92, actuel 5e du Top 14 mais appelé à régner sur le système ovale du rugby européen.
Il y a un an, avant la téléportation, le RM92 recevait "à l'ancienne" dans son centre d'entraînement bidouillé de la Croix-de-Berny, à Antony (Hauts-de-Seine). Guère éloigné géographiquement mais remisé désormais dans une galaxie lointaine, très lointaine : l'ancienne buvette fleurait bon le resto routier, et l'espace de vie des joueurs était encastré entre deux Algeco. La mutation génétique est sidérante : le nouveau camp de base se visite comme une expo futuriste.
Les salles de muscu sont high-tech, les terrains d'entraînement multiples et synthétiques, la salle de vie est un loft suprême. Il y a aussi un lycée intégré pour les jeunes pousses du centre de formation. Rassemblée en un même lieu, une petite cité de la performance unique en son genre. Même le déjeuner chiquissime - servi dans le restaurant du club au ras de la pelouse du stade d'entraînement à des "costumes cravatés", comme autant de partenaires du club -, paraît un brin déconnecté de la réalité cassoulet-haricots du rugby des familles. Mais il va falloir s'y habituer. "C'est l'heure du Racing", nous rabâche-t-on depuis le début de la saison. Il est déjà le club le plus médiatisé de ce début de championnat malgré un certain retard à l'allumage. "On ne joue pas encore comme on devrait jouer mais ça vient doucement", admet Luc Ducalcon, pilier international.
SUPERPRODUCTION
Il n'y a qu'à voir le recrutement digne d'une superproduction hollywoodienne. Durant l'intersaison, le RM92 a réussi à débaucher le duo d'entraîneurs champion de France en titre, les ex-Castrais Laurent Labit et Laurent Travers. Ainsi que 16 joueurs de calibre mondial, dont l'ouvreur irlandais Jonathan Sexton (36 sélections), le centre gallois Jamie Roberts (53 sélections), le deuxième-ligne sud-africain Juandré Kruger (13 sélections) le troisième-ligne gallois Dan Lydiate (27 sélections) et les ailiers français Marc Andreu (7 sélections) et Adrien Planté (2 sélections), le troisième-ligne Wenceslas Lauret (3 sélections)... Tout ce beau linge aimanté par l'un des trois plus épais budgets du Top 14 (23,5 millions d'euros).
"Après la reconstruction, place à la conquête", tonne le président du RM92, Jacky Lorenzetti, qui a fini, après quelques années de modestie un peu forcée, par sacrifier aux effets de manches induits par le championnat le plus relevé du monde. En conséquence, il a consenti un crédit à ciel ouvert pour le recrutement (Jonathan Sexton est payé 750 000 euros par an), mais avec une pression afférente : il faut un titre, de France ou d'Europe, d'ici quatre ans, pour devenir définitivement crédible. Une vraie rupture avec la période 2007-2012, qui avait vu le duo Jacky Lorenzetti - Pierre Berbizier, en symbiose parfaite avant la séparation, charrier une à une les pierres de l'édifice.
Le retour majuscule du premier champion de France de l'histoire (1892) est le fait de la volonté d'un seul homme, de ses millions d'euros et d'une fiction intérieure devenue désir obsessionnel : reconstruire un club de rugby et l'emmener au firmament. En 2006, Jacky Lorenzetti a jeté son dévolu sur le Racing, qui avait pris trop timidement le virage du professionnalisme, en déliquescence ininterrompue depuis son titre de champion en 1990, gagné avec un noeud papillon rose sur le paletot. Lorenzetti a procédé de la même façon qu'avec Foncia, entreprise immobilière qu'il a fondée. En partant de très loin pour arriver très haut. Mais Jacky Lorenzetti n'a jamais supporté les fanfreluches du Stade français et a sacrifié le "show-biz" estampillé Racing sur l'autel de la realpolitik.
"JE VEUX RENDRE LE RACING ÉTERNEL"
Le RM92 est à l'image de son président omniscient. Lorenzetti est un homme pressé, à l'humeur climatisée, qui tient un discours géométrique. Il installe un principe de distance avec son interlocuteur, il aime l'ordre et l'ambition : "Je veux rendre le Racing éternel." A savoir, fabriquer un club à la croisée des genres : entre sport, business, image de marque, et surtout prendre du champ avec le mécénat corporatiste (celui de Castres, Clermont ou Grenoble), modèle économique du rugby français depuis l'avènement des présidents actionnaires, qui bousculent les habitudes et précipitent le rugby des clubs dans une spirale inflationniste. Mourad Boudjellal à Toulon, Mohed Altrad à Montpellier, Alain Afflelou à Bayonne ou Thomas Savare au Stade français ont fait sacrément monter les enchères.
"A Biarritz, par exemple, quand le partenaire [Serge Kampf, créateur de Cap Gemini, ne devrait plus soutenir le club basque] tire l'échelle, c'est le club qui est en péril, explique Lorenzetti. Je veux que le Racing me survive. C'est mon obsession." Les noces du "sport-entertainment" et de l'entreprise sont en passe d'être scellées. "On veut faire du club une entreprise privée viable, détaille Arnaud Tourtoulou, directeur général du RM92. On vise l'équilibre et même des recettes. On est comme une start-up. On investit beaucoup pour devenir hyperrentable dans quelques années." Même si, évidemment, ça ne peut pas plaire à tout le monde. Et notamment aux places fortes de l'Ovalie, dont certaines têtes d'affiche virent ternes (Biarritz, en perte de vitesse, ou Toulouse, qui peine à retrouver son lustre des dernières saisons).
"Nous, les nouveaux entrants, nous ne faisons pas partie du sérail, s'emporte Lorenzetti. Je comprends que des petites ou moyennes villes veulent encore exister. Pour rester au pouvoir, elles concoctent de nouvelles règles pour se protéger. Ce qu'ils ont fait il y a dix ans, ils ne veulent pas qu'on le fasse aujourd'hui. Je ne suis pas contre le plafonnement des salaires, mais je suis contre l'uniformisation." Ce qui n'empêche aucunement le RM92 d'exhiber chaque week-end le maillot le plus cher du Top 14. Sept partenaires présents sur la devanture textile, avec, en tête de gondole, Natixis, pour environ 3 millions d'euros par an. Au total, le RM92 compte 130 partenaires... De quoi s'amuser.
"ON EST EN CONCURRENCE SUR TOUT"
Mais des obstacles se dressent encore sur le chemin du RM92. Le projet de stade, levier imparable d'un modèle économique pérenne et fécond dans le sport contemporain, tarde à voir le jour. "L'Arena, qui sera édifié à la Défense, sera davantage une salle de spectacle où on peut aussi jouer au rugby, nuance Lorenzetti. Les autorisations administratives ne sont pas totalement bouclées. J'ai obtenu mes crédits et le conseil général des Hauts-de-Seine a acheté les espaces bureaux pour 167 millions d'euros. Je pense qu'on pourra débuter les travaux début décembre."
Sauf que, entre-temps, l'Arena s'est fait doubler par le nouveau stade Jean-Bouin du Stade français. L'inauguration, le 30 août, coïncide avec un retour en force sportif du Stade français après plusieurs saisons d'errance. "Le Stade français, c'est plus qu'un adversaire, conçoit Lorenzetti. On doit se partager les supporteurs, les partenaires, les politiques. On est en concurrence sur tout." Pour l'instant, le Racing traîne l'antique stade de Colombes comme une peau morte. Impossible de s'y rendre en moins de deux heures depuis le centre de Paris à moins de louer un hélico.
La comparaison statistique est cruelle : lors de la 5e journée, le Stade français flambait devant 15 535 spectateurs lors de sa victoire face à Clermont, tandis que le Racing jouait flou face à Perpignan (19-16) devant 7 624 spectateurs. "Il faudrait que le Racing se trouve des supporteurs", prévient Ronan O'Gara, entraîneur adjoint. "Si l'Arena ne se fait pas, il faudra peut-être devenir moins ambitieux", renchérit Lorenzetti. Pour un inopportun retour du futur ? On n'en est évidemment pas là .