Carton rouge contre le grand stade de l'Olympique lyonnais
http://www.lemonde.fr/planete/article/2 ... _3244.html"Au départ, c'était le coup de gueule d'une dizaine de riverains qui ne voulaient pas de ça chez eux", raconte Didier Paulin, 50 ans. Ce directeur technique d'entreprise n'est pas un militant dans l'âme. Mais depuis que le club de l'Olympique lyonnais (OL) a choisi de construire son "grand stade" à Décines (Rhône) – l'un des sites d'accueil pour l'Euro 2016 – à quelques dizaines de mètres de son pavillon, sa vie a changé.
Didier Paulin passe plusieurs heures par semaine à animer l'association Carton rouge, créée en mai 2007. Première source d'opposition à ce stade de 58 000 places espéré à l'horizon 2015, l'association revendique aujourd'hui 400 adhérents. Et se montre très active : manifestations, blocages du tramway et de la circulation autour de la rocade qui longe le site d'une quarantaine d'hectares, à l'est de l'agglomération lyonnaise... "On a été un déclencheur d'un questionnement beaucoup plus large, un révélateur sur les dysfonctionnements de notre société", estime Didier Paulin.
Après Carton rouge, une trentaine d'autres associations se sont fédérées dans une même opposition à un futur stade qui n'est pas seulement un projet d'équipement sportif. Ses promoteurs le comparent à l'Allianz Arena de Munich, avec ses boutiques, ses hôtels, son économie. Au fil des mois, des enquêtes publiques, des recours et des pétitions, la réflexion s'est élargie. "Ce qui nous a choqués, c'est cette façon d'utiliser la notion d'intérêt général en faveur d'un stade privé, en utilisant la communication et les médias pour faire taire notre voix", dit Franck Buronfosse, 47 ans, président de Carton rouge. Dans sa maison toute proche du chantier en préparation, cet agent d'EDF, syndicaliste depuis quelques années, sent bien que "les citoyens ne supportent plus la mainmise des politiques sur des décisions qui les concernent directement."
DÉFICIT DÉMOCRATIQUE
Carton rouge avait obtenu 4 000 signatures pour réclamer un référendum local, soit plus du quart de l'électorat de Décines. Refus de la mairie, désagréable sensation de ne pas être entendu. Les opposants ont toutefois obtenu le soutien de Philippe Meunier, député (UMP) de la circonscription. "Une fois les élections passées, les politiques se font rares, ils vont revenir avec les municipales", prédit Franck Buronfosse.
L'exemple de Notre-Dame-des Landes est dans tous les discours. Au déficit démocratique s'ajoute l'impression d'une utilisation détournée des finances publiques alors que le tour de table du financement privé du projet, évalué à 400 millions d'euros, n'est pas officiellement connu.
En dépit des recours juridiques, le chantier du terrassement a été lancé. "Cette politique des grands travaux, ce n'est pas du développement économique, estime Etienne Tête, conseiller régional Europe-Ecologie-Les Verts. Le foot crée peu d'emplois, en réalité. Ici on voudrait mettre les finances publiques à contribution pour 3 000 places de plus par rapport à l'actuel stade de l'OL à Gerland".
"CHEMIN DE COMPOSTELLE" ÉCOLO-LIBERTAIRE
Ancien adjoint de Gérard Collomb, le maire de Lyon qui soutient à fond le projet du grand stade, Etienne Tête est désormais son adversaire. Selon lui, l'investissement public destiné à accompagner le projet sportif va bien au-delà des 200 millions d'euros prévus dans la réalisation d'échangeurs routiers ou de prolongement de ligne de tram. L'élu vert craint aussi des opérations foncières réalisées sur le dos des collectivités. Selon le calcul des opposants, le site s'étendrait sur 110 hectares, au total.
En amont du terrain où travaillent des engins, une vingtaine de jeunes ont élu domicile sur une butte boisée à proximité du chantier du grand stade. "C'est l'occupation des terres contre un projet de bétonnage" résume celui, la trentaine, qui se fait appeler Castor.
"Ici pas de chef ni de maman" proclame une pancarte. Ce village aux cabanes disséminées dans les bois et les clairières fait désormais partie des "zones à défendre" (ZAD) réparties sur le territoire national. On y passe, on s'y fixe à loisir. Décines, avec son grand stade, est désormais l'une des étapes de ce "chemin de Compostelle" écolo-libertaire.