article interressant sur les stades en france
La reconstruction du stade Jean-Bouin, Ã 160 millions d'euros, est prise en charge par la ville de Paris.
© Jérôme Chatin / L'Expansion
A l'été 2008, quand les équipes de Vinci posent la première pierre de la MMArena, enceinte sportive aux formes galbées, Le Mans FC brille en Ligue 1, l'élite du foot français. Les stars Drogba, Gervinho et Romaric sont censées attirer les 15 000 spectateurs nécessaires à l'équilibre financier de ce concentré de technologie.
Grand stade, Ã Lille
Coût de construction: 324 millions d'euros
Coût supporté par la collectivité *: 559 millions d'euros
Le stade n'a pas encore trouvé de partenaire officiel.
Stade des lumières, à Lyon
Coût de construction : 400 millions d'euros
Coût pour la collectivité* : 187 millions d'euros
C'est le seul projet de stade porté à 100 % par son club.
MMarena, au Mans
Coût de construction: 104 millions d'euros
Coût pour la collectivité *: 89 millions d'euros
Relégué en ligue 2, Le Mans FC risque le dépôt de bilan.
Stade Jean-Bouin, Ã Paris
Coût de construction: 160 millions d'euros
Coût pour la collectivité *: 160 millions d'euros
La ville de Paris finance toute la reconstruction.
* Ce coût comprend les subventions, les aides d'Etat, les travaux de voirie et la redevance payée par les collectivités locales pendant la durée de la concession.
A l'époque, personne n'imagine que le club du Mans puisse être rétrogradé, voire faire faillite. C'est pourtant le scénario noir auquel le club essaie d'échapper aujourd'hui. Relégué en Ligue 2, Le Mans FC est au bord du dépôt de bilan. La facture, pour le contribuable, risque d'être salée. Privé de club résident, Vinci pourrait réclamer à la Ville plusieurs dizaines de millions d'euros de compensation. Le stade, surdimensionné pour un club de deuxième division, a-t-il coulé Le Mans FC ? Ses promoteurs n'auraient-ils pas péché par optimisme démesuré?
Déjà , à Grenoble, en 2011, le stade des Alpes, inauguré en grande pompe trois ans plus tôt, avait été victime de la lente descente aux enfers du club local, jusqu'à sa liquidation judiciaire. D'ici à l'Euro 2016, quatre "grands stades" devraient sortir de terre, et cinq autres seront entièrement rénovés. Sans compter les projets pharaoniques du côté du rugby. Et on ne sait encore rien de ce que les Qatariens veulent faire à terme du parc des Princes, terrain de jeu du PSG.
Des infrastructures sportives vieillissantes en France
Une chose est sûre, l'addition de ces grands chantiers sera lourde : 2,6 milliards d'euros au total, dont 1,7 milliard à la charge des collectivités locales. A un an des élections municipales, et alors que l'Etat cherche à faire des économies à tous les étages, ça coince.
"Il n'y a pas de grands clubs sans beaux stades", a coutume de dire Frédéric Thiriez. Pour le président de la Ligue de football professionnel, les arenas de nouvelle génération sont le chaînon manquant dans le foot business français, celui qui doit lui permettre de pérenniser son modèle économique en générant des recettes supplémentaires. Tout le monde en convient : avec une moyenne d'âge de 66 ans pour ses infrastructures sportives, la France est à la traîne. "Depuis 1945, nous n'avons construit que trois grandes enceintes.
Le Stade de France pour le Mondial 1998, le parc des Princes et la Beaujoire, à Nantes", fait remarquer Jacques Lambert, le président du comité d'organisation de l'Euro 2016. Alors, rien ne sera trop beau pour accueillir les 2,5 millions de supporters attendus pendant la compétition. Toit rétractable, pelouse amovible, jauge modulable, tribunes spacieuses, loges VIP, les architectes s'en sont donné à coeur joie. A quel prix ? 400 millions d'euros pour le stade des Lumières, à Lyon, 324 millions pour le Grand Stade de Lille.
Qui dit mieux ? Les Qatariens, vraisemblablement. Pour l'Euro 2016, le parc des Princes, qui appartient à la Ville de Paris, va être rénové. Mais Yves Contassot, élu écologiste à la mairie de Paris, agite le chiffon rouge : "L'histoire est écrite. Après la compétition, les Qatariens raseront le parc des Princes pour y reconstruire un stade flambant neuf." Ce n'est pas un hasard si Roger Taillibert, l'architecte historique du stade, proche de la famille Al-Thani, a été retenu - il serait impossible de toucher à la structure du stade sans son accord.
"Face aux avocats des géants du BTP, les collectivités locales sont souvent impuissantes. Ces stades sont de vrais tiroirs à subventions." Bertrand Scholler, consultant indépendant.
Dans la banlieue lyonnaise, le long de l'autoroute A6, le ballet des engins de chantier à l'oeuvre depuis l'automne s'est enfin achevé. Les opérations de terrassement terminées, le futur stade des Lumières devrait sortir de terre en 2015. Enfin, si tout va bien. Car Jean-Michel Aulas, le patron de l'Olympique lyonnais (OL), tarde à boucler son plan de financement - c'est le seul projet de stade de foot 100 % privé. L'Etat mettra quand même la main à la poche. Il devrait verser 20 millions d'euros de subventions, et 167 millions d'euros de travaux d'aménagement (tramway, desserte, etc.) seront nécessaires pour rendre le stade accessible. Fin mars, les traits tirés, le patron de l'OL continuait à négocier "nuit et jour" pour tenter de convaincre les banques de le suivre à hauteur de 140 millions d'euros (le reste étant apporté par la Caisse des dépôts, par Vinci et par les actionnaires du club).
Des banques qui ne se sont pourtant pas fait prier à Lille, à Nice et à Marseille, où les collectivités locales ont signé des partenariats public-privé (PPP). Parés de toutes les vertus, ces montages financiers permettent aux collectivités de disposer d'un stade neuf sans verser un centime au départ. En échange de la construction, de l'entretien et de la gestion du stade, elles paient une redevance à Bouygues, à Eiffage ou à Vinci pendant trente à quarante ans, période à l'issue de laquelle elles en deviennent propriétaires.
"A l'arrivée, le coût du projet pour la collectivité se trouve multiplié par deux, voire trois. A chaque fois, on nous vend de l'attractivité, du désenclavement et des créations d'emplois. C'est du marketing territorial !" dénonce-t-on au siège d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Dans ces PPP qui font souvent des milliers de pages, le diable se cache dans les détails. Bertrand Scholler, consultant indépendant, témoigne : "Face à la batterie d'avocats des géants du BTP, les collectivités locales sont souvent impuissantes. Finalement, ces stades sont de vrais tiroirs à subventions."
Il suffit d'observer le cas de Lille. Pour jouir de son Grand Stade, la communauté urbaine a accepté de payer une redevance annuelle de 10 millions d'euros pendant trente et un an à Elisa, filiale d'Eiffage. Il en coûtera en outre à la collectivité 176 millions d'euros de travaux de voirie et d'accès au stade, 45 millions d'euros de subventions régionales et 28 millions d'euros d'aides de l'Etat. Et encore, à condition que le Losc se maintienne dans l'élite. Car le contrat de PPP est clair : si le club descendait en Ligue 2, la facture pour la communauté urbaine de Lille s'alourdirait de dizaines de millions d'euros supplémentaires. C'est dur à avaler pour certains élus, d'autant qu'une information judiciaire a été ouverte par le parquet de Lille sur les conditions d'attribution du chantier à Eiffage.
Ces équipements seront-ils le cauchemar du foot hexagonal ?
A Paris, la Ville va consacrer 20 millions d'euros à la rénovation du parc des Princes, tandis que les actionnaires du PSG ont prévu d'en dépenser entre 40 et 60 millions. "Mais ça viendra en déduction de la redevance que le club paie à la mairie", dénonce Yves Contassot. "Dans les discussions que nous allons commencer avec la Ville pour renouveler la concession du parc des Princes, il faudra bien sûr prendre en considération les travaux engagés par le PSG", confirme Jean-Claude Blanc, le directeur général du club, dont le rêve est de hisser le PSG parmi les cinq plus grands clubs d'Europe.
En prenant livraison de l'Allianz Riviera, l'OGC Nice ambitionne également de jouer dans la cour des grands. Mais il en coûtera à la mairie 7 millions d'euros par an pendant trente ans. "Plus du tiers de l'autofinancement annuel de la Ville est bouffé par le stade", s'offusque le socialiste Patrick Allemand, conseiller municipal. A ses yeux, le stade de 35 000 places est surdimensionné pour un club dont le record de fréquentation moyenne s'élève à 15 223 spectateurs. C'était en 1952...
"Plus du tiers de l'autofinancement annuel de la Ville est bouffé par le nouveau stade." Patrick Allemand, conseiller municipal socialiste de Nice.
A un an des municipales, le ton monte au sein des collectivités locales. Certes, elles ont toujours financé les équipements sportifs. Mais la crise économique a mis à genoux bon nombre d'entre elles. Lorsque la France a donné sa réponse au cahier des charges de l'Euro 2016, à l'automne 2008, la faillite de Lehman venait tout juste d'être prononcée. "L'UEFA n'est pas sourde à l'aléa économique, et se montre disposée à procéder à des ajustements majeurs", plaide Jacques Lambert. Exemple à Toulouse, où le projet initial de rénovation du Stadium a été revu à la baisse. D'autres municipalités, comme Nancy et Strasbourg, ont préféré faire machine arrière. "On est dans la démesure totale. [...] Le jeu n'en vaut pas la chandelle", avait déclaré Jean-Marc Ayrault, le maire de Nantes, avant d'enterrer l'idée même d'une candidature de sa ville pour l'Euro 2016.
L'économie du foot français sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Les clubs de l'élite affichaient l'an dernier un déficit cumulé de 68 millions d'euros. Et si les stades devenaient le nouveau cauchemar du foot hexagonal ? Le Grand Stade de Lille est une merveille, mais il est dimensionné pour des matchs de Ligue des champions. Or le Losc n'a pas passé le cap du premier tour. A Bordeaux, le Groupe M6, l'actionnaire des Girondins, s'est porté garant en cas de problème. "La chaîne a versé 20 millions d'euros sur un compte bloqué à la Caisse des dépôts", explique Thierry Guichard, Monsieur Grand Stade à la mairie de Bordeaux.
Qu'en sera-t-il des autres clubs ? Ils vont devoir faire preuve d'imagination pour maximiser leurs revenus. "Et s'inspirer des bonnes vieilles recettes du yield management, en proposant aux supporters des billets first, business et classe éco", explique Vincent Chaudel, associé de Kurt Salmon. Grâce aux loges VIP, l'OL espère doubler, voire tripler, ses recettes de billetterie. "Regardez ce qui s'est passé en Allemagne. Après la Coupe du monde, la fréquentation des stades a été multipliée par deux", plaide Jean-Michel Aulas.
Le rugby gagné par la fièvre des équipements
Le tout nouveau stade Jean-Bouin, terrain de jeu du Stade français, n'était pas encore sorti de terre, porte d'Auteuil, à Paris, que la Fédération française de rugby (FFR) annonçait son intention de quitter le Stade de France pour s'offrir une enceinte entièrement dédiée au XV de France, à Ris-Orangis : un stade "à l'anglaise" de 82 000 places, avec toit rétractable et pelouse amovible. Ce projet à 600 millions d'euros est "entièrement privé", se félicite Paul De Keerle, directeur financier de la FFR. A un bémol près : la FFR a une délégation de service public, et le conseil général de l'Essonne s'est porté garant pour les 450 millions d'emprunts nécessaires au financement. "C'est le sommet de la déraison !" estime un élu vert. De son côté, Jacky Lorenzetti, le patron du Racing Metro 92, a mis en sommeil son projet de construire à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, une arène de 30 000 places.
Les stades rêvent aussi de développer le naming - d'accoler leur nom à celui d'un partenaire privé. A l'image du MetLife de New York, de l'Emirates Stadium de Londres ou de l'Allianz Arena de Munich. En France, on en est encore aux balbutiements. Les Mutuelles du Mans ne versent qu'un petit million d'euros par an pour s'afficher sur le fronton de la MMArena. Parce qu'elle la jugeait insuffisante, la communauté urbaine de Lille a refusé l'offre de Partouche (2,5 millions d'euros). Après avoir longtemps résisté, Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille, s'est résigné à associer le nom d'un sponsor au Stade-Vélodrome.
Bertrand Delanoë, le maire de Paris, fera-t-il de même ? Pour attirer des marques prestigieuses, les nouvelles enceintes devront en tout cas faire le plein les jours de relâche sportive. En vitesse de croisière, le Grand Stade de Lille a besoin d'une quinzaine d'événements par an pour être rentable. Eiffage a bataillé ces derniers mois pour organiser un match du championnat de France de rugby au printemps, un concert de Rihanna cet été, une rencontre de la coupe Davis de tennis et un concert de Depeche Mode à l'automne. Le compte n'y est pas...
Des aides bientôt sous la loupe de la Commission européenne
Au moment où la France s'apprête à fournir - pour la première fois - à la Commission européenne le détail des aides qu'elle verse au monde du sport, la gabegie financière des grands stades pourrait être pointée du doigt. Car Bruxelles entend bien passer au crible toutes les subventions, garanties d'emprunt, travaux d'aménagement et aides indirectes payées par l'Etat et les collectivités locales. Si la Commission y trouve quelque chose à redire, c'est tout l'équilibre financier des grands stades de l'Euro 2016 qui pourrait alors être remis en cause.