Grand stade Rugby : et si l’utopie devenait réalité ?
Alors que la France affronte samedi le Pays de Galles, la fédération française de rugby présentait vendredi son projet de mega-stade à Evry. Un projet fou disposant de relais au plus haut niveau de l’Etat. "Le Nouvel Obs" a enquêté.
Ce stade géant pourrait accueillir 82.000 spectateurs. (DR FFR)
Un stade de France bis à plus d’un milliard d’euros en pleine période de crise, et pourquoi pas ? Pierre Camou, le président de la Fédération française de rugby (FFR) se qualifie lui-même de basque et obstiné. Tandis que son dauphin Serge Blanco, arrière de légende du XV de France, est un têtu avéré. Depuis deux ans, les deux compères vendent donc leur projet "un peu plus que différent" comme s’il était déjà devenu réalité.
On en connaissait les grandes lignes : 82.000 places, un toit couvrant, de vastes espaces commerciaux et ludiques pour scotcher le client-spectateur des heures durant, et même une pelouse amovible glissant sous le stade pour pouvoir attirer tous types de spectacles (concerts, motocross… ou courses de ski de fond).
Sur le papier, cela paraissait un peu abstrait. Depuis ce vendredi 8 février, on voit mieux ce que cela peut donner. La FFR a en effet dévoilé les résultats de son concours d’architecture. Un concours qui couronne le cabinet Populous, déjà à l’origine du Millenium de Cardiff, de l’Aviva de Dublin ou du nouveau stade de Wembley à Londres. Les Britannique ont remporté la mise avec un immense parallélépipède de béton, ajouré de grands motifs géométriques. Une sorte de mastaba égyptien revisité par Hollywood pour les besoins d’un film de science-fiction, façon Superman contre Pharaon. L’allusion au mastaba n’est pas neutre. Pierre Camou, non content d’être basque et obstiné, est également féru d’histoire. Plus qu’un stade, son enceinte doit donc être "un Colisée", "une cathédrale, autour de laquelle se construisent la ville, la vie, comme au temps des grands bâtisseurs".
Un emprunt public de 200 millions d'euros
Voilà pour la poésie. Plus prosaïquement, la basilique du père Camou a pour mission première de donner son autonomie financière à la FFR, à la manière de Roland-Garros, véritable usine à cash de la Fédération française de tennis. Autrement dit, il s’agit d’investir beaucoup (600 millions d’euros) pour récolter à terme des recettes commerciales, qui aujourd’hui échappent à la fédération, simple locataire du Stade de France (exploité par le duo Bouygues-Vinci, dans le cadre d’une concession signée avec l’Etat).
Un vieux rêve qui devrait permettre de contrecarrer la puissance des clubs professionnels et de constituer – comme dans l’hémisphère sud – une équipe d’internationaux salariés de la fédération, suffisamment rodés pour faire jeu égal avec les plus grandes nations.
Le projet a sa cohérence. Pourtant, il a longtemps été vu avec incrédulité par les petits mondes du sport et du BTP. Curieusement, les 600 millions budgétés pour le stade ne sont peut-être pas le principal obstacle. Pour convaincre les banques de rentrer dans le tour de table, la FFR a trouvé une idée de génie : apporter du cash à hauteur de 200 millions, via un grand emprunt public s’inspirant du système des Socios barcelonais. Autrement dit, mettez de l’argent dans le stade et vous aurez droit à un accès préférentiel aux matchs et aux spectacles. Le public du rugby étant réputé chauvin, fidèle, et relativement aisé, on a envie de croire que la FFR pourra y arriver.
Reste toutefois un obstacle conséquent à lever. Pour accueillir son "totem", la fédération a choisi un terrain certes libre, étendu et abordable – le très champêtre hippodrome de Ris-Orangis dans la ville nouvelle d’Evry – mais situé à l’extrême sud de la grande couronne et donc peu accessible depuis Paris. La FFR minimise le problème en soulignant que son public, essentiellement provincial, utilisera surtout l’autoroute A6 ou la gare TGV de Massy. Mais si l’on en croit les élus l’Essonne, la remise à niveau des infrastructures de transports, devrait tout de même se chiffrer à … 600 millions d’euros.
Soit 400 à 500 millions d’investissement supplémentaires sur les lignes RER (C et surtout D) desservant les gares les plus proches, 120 millions sur le routier, et une accélération nécessaire des 800 millions d’investissements ferroviaires déjà planifiés sur les deux lignes susnommées.
"Un parc Playmobil géant"
Pour justifier que la Région et l’Etat mettent autant d’argent sur leur "petit territoire" en pleine cure d’austérité budgétaire, les élus cherchent à vendre le concept d’une "seconde naissance de la ville nouvelle". Celle-ci permettrait de caser une partie des 70.000 logements (l’équivalent d’une ville comme Angers !) que l’Etat s’est engagé à construire chaque année en Ile-de-France. Mais également de développer un vaste pôle de loisir sportif ainsi qu’un "cluster de la filière sport", vivant sept jours sur sept, et alimentant le stade FFR en public. Evry a ainsi pris contact avec la Compagnie des Alpes (gestionnaire des parcs Asterix ou France Miniature) ainsi qu’avec la société… Playmobil France.
Un parc Playmobil géant, vous imaginez un peu ce que ça donnerez, moi, personnellement, j’en rêve", s’emballe Stéphane Raffali, le maire de Ris et monsieur Stade du Conseil général.
Cette partie du projet paraît nettement plus aventureuse. Y a-t-il une économie pour un énième parc d’attraction à 35 km de Paris, et un cluster sportif censé réunir fédérations, médias sportifs et équipementiers (dans quel but ?) ? Cela reste à démontrer. Pourtant, selon nos informations, la cause du stade FFR ferait son bout de chemin dans les hautes sphères. Certes, la ministre des Sports, Valérie Fourneyron, n’a jamais caché aux élus son peu d’appétence pour leur projet. D’autant plus qu’il vient remettre en cause l’équilibre financier déjà fragile du Stade de France, dont l’Etat refuse d’éponger les déficits. Mais les élus socialistes de l’Essonne ont le bras long. L’ancien maire d’Evry n’est autre que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui, sans attendre l’aval du gouvernement, a d’ores et déjà mobilisé la préfectorale sur "son" projet.
Et le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg apporterait également son soutien au nom des vertus keynésiennes des grands travaux… et de son amitié de 30 ans pour Thierry Mandon, député de l’Essonne et ancien maire de Ris. Enfin, le pilote du projet au Conseil général n’est autre qu’Olivier Galiana, l’ancien directeur de cabinet de Jean-Paul Huchon, le président de Région, principal décideur en matière d’investissements ferroviaires. Ledit Huchon, fidèle à sa réputation d’équilibriste s’abstient de monter au front, mais dans son entourage, on fait valoir que le stade FFR "répond à une logique de rééquilibrage pour le sud francilien" et que débloquer 400 millions d’euros supplémentaires dans le cadre d’un contrat de projet "n’est pas irréalisable".
La messe serait-elle dite ? Patrick Braouezec, le patron de l’intercommunalité de Saint-Denis et l’un des pères du Stade de France, ne le pense pas :
Valls pèse de tout son poids, et les oppositions ne s’expriment pas encore frontalement, mais, quand il faudra expliquer à la Seine-Saint-Denis que l’on repousse des investissements attendus pour desservir un équipement, dont le caractère utile et nécessaire est pour le moins sujet à caution, je doute que cela ne crée quelques remous. S’il y a des territoires à désenclaver, ils sont bien chez nous."
Aux dernières nouvelles, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault aurait été saisi de la question. Mais l’arbitrage final devrait se faire à l’Elysée. Décision dans l’année. Camou et Blanco sont non seulement têtus, mais pressés : ils veulent leur cathédrale en 2018, dernier délai.