L'article sera peut-etre en acces reserve et comme il est assez interessant je le copie en entier.
L'INNOVATION, C'EST BÉTON
Par PAR OLIVIER JAMES - Mis à jour le 12 avril 2012, à 18h 33 - Publié le 12 avril 2012, à 18h 21 | L'Usine Nouvelle n° 3281
* France, Economie, Eiffage, LVMH
ENQUêTE Stades, lignes à grande vitesse, musées... Les grands chantiers fleurissent en France. Ces projets exceptionnels tirent l'innovation dans l'ensemble du secteur et profitent aussi aux PME.
L'histoire vaut ce qu'elle vaut ! L'architecte aurait pris une feuille de papier, l'aurait mise en boule puis jetée au sol en disant : « Voilà ce que sera l'architecture. » L'anecdote concerne Franck Gehry et son projet pour la Fondation Louis Vuitton pour la création commandé par Bernard Arnault, le PDG de LVMH. Au coeur du Jardin d'acclimatation dans le XVIe arrondissement de Paris, l'édifice, véritable chrysalide cristalline, marie verre, béton, bois et métal dans un enchevêtrement de lignes courbes et de volumes asymétriques. Un mélange de matériaux assez rare. Seule la modélisation numérique en 3 D permet d'obtenir une représentation du bâtiment aux formes et aux interactions si complexes. « En la matière, le BTP, des donneurs d'ordres aux entreprises de construction, a pris près de vingt ans de retard par rapport à des groupes comme Boeing, Airbus ou Renault, reconnaît Louis Demilecamps, le directeur des ressources techniques et du développement durable de Vinci Construction France. Pour cette raison, le rythme des évolutions des techniques dans le bâtiment est très différent de ce que connaissent d'autres secteurs. »
Le rattrapage s'effectue à marche forcée. Dans un secteur qui se mondialise aussi, les constructeurs doivent innover. À tout prix. « Dans cette compétition mondiale, l'innovation est le seul élément différenciant, assène Pierre Berger, le nouveau directeur général d'Eiffage. Nous ne parvenons à exporter que lorsque nous apportons à un client des solutions techniques qui n'existent pas sur place » [lire interview page 47]. Principaux acteurs concernés ? Les « majors » du secteur que sont Vinci, Bouygues et Eiffage, mais aussi la multitude de petites et moyennes entreprises (PME) qu'elles entraînent dans leur sillon. Les grands groupes font en effet appel à un panel toujours plus large d'activités (ingénierie, énergie, informatique, télécoms...). « Les grands projets doivent s'insérer dans un environnement urbain, humain et écologique de plus en plus contraignant, explique Florence Darmon, la directrice générale de l'École spéciale des travaux publics (ESTP) de Cachan. La construction devient beaucoup plus exigeante en termes technologiques. »
Des aiguilles d'acier
Le nombre de grands projets en cours ou sur le point d'être lancés dans l'Hexagone a de quoi laisser pantois quand on se rappelle, par ailleurs, l'état des finances publiques. Trois lignes ferroviaires à grandes vitesse (LGV) ; plusieurs stades de football (Lille, Nice, Bordeaux, Lyon), en prévision du championnat d'Europe de 2016, et de rugby (le stade Jean Bouin, à Paris, l'Arena, à Nanterre) ; le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille ; le nouveau ministère de la Défense, la Canopée des Halles, la Philarmonie et le palais de justice à Paris... Pour ne citer que les plus importants. « Il n'y a jamais eu autant de grands projets », assure Patrick Bernasconi, le président de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP). À de rares exceptions près, ils sont la preuve du dynamisme des acteurs du BTP, contraints de trouver des solutions via de nouveaux matériaux, des modélisations informatiques toujours plus complexes, des systèmes d'information de pointe...
Conçu par Rudy Ricciotti, l'un des architectes français les plus inventifs, le stade Jean Bouin, en cours de construction à Paris, est un concentré d'innovations. « En général, pour les toits des stades, on choisit un matériau léger, le plus souvent une toile, précise Christophe Carminati, le responsable du projet pour la société Léon Grosse. Là , l'architecte voulait du béton. Et qui en plus laisse passer la lumière ! » Il s'en amuse encore. Chez Léon Grosse, l'une des rares PME a avoir remporté un tel marché, on ne cache pas les difficultés rencontrées pour mener à bien cette construction. D'abord le choix d'un matériau innovant : du béton fibré à ultrahautes performances, sorti des laboratoires il y a une dizaine d'années. Constitué de ciment Ductal de Lafarge, de sable ultrafin et d'aiguilles d'acier, il est quasiment dépourvu de bulles d'air. Bien plus résistant à la compression et à la flexion qu'un béton traditionnel, son prix est aussi beaucoup plus élevé : il coûte dix fois plus cher. Par ailleurs, ils est nettement plus difficile à mettre en oeuvre. Mais il ouvre la voie à des applications totalement nouvelles...
Le toit du stade Jean Bouin est constitué de milliers de triangles remplis de béton fibré, joints par des rotules et parsemés d'inclusions de verre. Avec ce matériau, Léon Grosse a pu mettre en oeuvre un toit de quatre centimètres d'épaisseur. Avec un béton traditionnel, elle aurait été de 20 centimètres. La façade est elle aussi constituée d'une résille en béton fibré. Le même d'ailleurs qui est employé pour le Mucem. Un projet de pointe conçu également par Rudy Riccioti. Pour le projet parisien, il a imaginé de surcroît une structure dissymétrique. Les pentes du toit sont inclinées dans tous les sens. « En temps normal, on teste en soufflerie une maquette en bois bardée d'une centaine de capteurs, explique Christophe Carminati. Au vu de l'architecture du stade, nous avons mis au point une maquette virtuelle avec l'équivalent de 100 000 capteurs ! » Elle prend en compte toutes les constructions alentour, dont le Parc des Princes, jusqu'à l'hippodrome d'Auteuil, à près d'un kilomètre.
La modélisation numérique, longtemps cantonnée à la présentation des projets, devient une composante incontournable pour leur réalisation. C'est le cas pour la Canopée des Halles, une vaste structure de verre et de métal imaginée par les architectes Jacques Anziutti et Patrick Berger dans le cadre du réaménagement du coeur de la capitale. Vinci en assurera la construction. Ce toit monumental recouvert de verre, un immense ensemble de 100 mètres par 100 mètres dont la portée atteindra 90 mètres à certains endroits, formera une gigantesque feuille translucide. Un défi techologique. Où se situent les charges ? Quelle doit être l'épaisseur des poutres ? Le groupe girondin Fayat, qui a déjà réalisé des bâtiments pour Airbus, à Toulouse, et Renault, au Maroc, est chargé via sa filiale gersoise Castel et Fromaget de la construction de cette structure métallique aux formes inédites. L'entreprise a aussi été retenue pour réaliser la charpente et la couverture du futur stade de Bordeaux, qui sera construit par Vinci.
Chantier zéro papier
L'innovation se niche même dans la construction des LGV. Estimée à 7,8 milliards d'euros, la future ligne Sud Europe-Atlantique reliera Tours et Bordeaux. C'est le plus grand chantier en Europe. Lancé en début d'année, il est réparti en 15 lots de 20 kilomètres chacun chapeautés par autant de responsables de chantier. Du jamais vu, d'autant qu'il va falloir le réaliser en seulement 73 mois. « Il y a quelques années, on nous aurait donné deux années de plus », assure Xavier Neuschwander, le directeur de Cosea, le groupement d'entreprises piloté par Vinci Construction. Aux grands maux les grands remèdes ! Avec l'aide d'IBM, un système informatique de partage des données va voir le jour. Il regroupera pour chaque collaborateur les plans de conception, d'exécution, les procédures à suivre... Soit plus de 800 000 documents. « C'est la première fois que nous réalisons un chantier zéro papier », se réjouit Xavier Neuschwander. Au final, une maquette 3 D va voir le jour. Une vraie révolution ! Filière d'excellence moins visible que d'autres secteurs, le BTP français compte sur l'innovation pour conserver son rang.
« Le béton et l'acier, c'est 20 % de notre business »
PIERRE BERGER, directeur général d'Eiffage Que vous apporte les grands projets ? Le phénomène des grands contrats clés en main ne cesse de s'amplifier. Cela nous impose de renforcer nos capacités d'ingénierie amont, en particulier pour mettre en oeuvre des solutions d'optimisation, qui nous permettent de respecter les budgets. Aujourd'hui, la réalisation des grands projets nécessite une approche multimétier. Nous devons faire travailler des métiers auparavant cloisonnés. Dans ces projets, le béton et l'acier ne représentent plus que 20 % du chiffre d'affaires. Le reste est du ressort de l'ingénierie, de l'informatique, des systèmes d'information... Les grands projets sont-ils rentables ? Ces grands projets sont d'une complexité extraordinaire. Quand on construit pour la première fois un hôpital, un stade ou une LGV, l'intégration de tous les métiers impliqués dans l'ouvrage conduit parfois à des surcoûts. Ces cinq dernières années, Eiffage a gagné beaucoup de grands projets, qui ont en partie diminué notre rentabilité. Ma stratégie est de continuer dans les domaines où nous avons appris. Nous entrons dans une période de consolidation de l'expérience acquise afin d'atteindre nos nouveaux objectifs de rentabilité. Mais je reste convaincu que la clé du développement des entreprises de BTP, c'est l'innovation. Pour vous projeter à l'international ? Si la technique s'exporte, les cadres contractuels et la culture locale ne garantissent pas une stabilité suffisante dans le temps. Il n'y a pas si longtemps, nombreux étaient les pays qui attribuaient systématiquement les grands projets à des sociétés étrangères. Ce temps est révolu. Les entreprises locales se sont développées en Asie comme en Amérique, les cadres contractuels se sont rigidifiés. Il y a encore des opportunités, mais elles sont plus difficiles à saisir.