Le stade de Nice, une farce coûteuse aux dépens de la VilleLe lancement de la construction des nouveaux stades de l'Euro 2016 a tenu du conte de fées. Le football français allait rattraper son "retard" grâce à des infrastructures modernes dont le financement, par la magie des partenariats public-privé, devait être quasiment indolore pour les collectivités. Les voix des Cassandre prédisant des lendemains qui déchanteraient avaient été mises en sourdine. Hélas, on l'oublie souvent : dans la mythologie, Cassandre avait raison.
Deuxième enceinte inaugurée parmi les quatre entièrement nouvelles programmées (dans l'ordre, Lille, Bordeaux et Lyon), l'Allianz Riviera de Nice en livre une confirmation saisissante. Un rapport de la Chambre régionale des comptes PACA, présenté le 25 juin dernier au conseil municipal, relève un nombre considérable de dérives dans l'appel d'offres et le contrat de partenariat, qui ont suscité dès le mois de mars l'ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet national financier et, le 23 juin, une série de perquisitions dans divers locaux municipaux.
400 MILLIONS AU LIEU DE 225 POUR LA VILLEParmi les anomalies, Bouygues, dont l'offre initiale était la moins chère, a proposé une offre finale dont le montant avait considérablement augmenté, alors que celles de ses deux concurrents étaient abaissées de sorte que toutes ne présentent que de faibles écarts, malgré de fortes variations "difficilement compréhensibles" sur les différents postes. De quoi faire suspecter un délit d'entente. Touche d'humour : au cours de l'instruction, la municipalité a argué que Bouygues s'était… trompé dans son prix. Les critères définis par la municipalité et leurs notations, qui ont conduit à désigner comme lauréat le consortium Nice Eco Stadium (NES) mené par Vinci, sont eux-mêmes jugés obscurs.
Mais les conclusions les plus accablantes concernent le coût du stade pour la commune, dont la Chambre estime qu'il s'élèvera à 400 millions d'euros nets au terme des trente ans du contrat. Lors du conseil municipal du 17 décembre 2010, le maire Christian Estrosi assurait avec véhémence que ce coût serait au maximum de 225 millions ("au plus 8,3 millions d'euros par an pendant 27 ans").
Le rapport relève notamment que la Ville a généreusement renoncé, sans le justifier de façon satisfaisante, à 3 millions de pénalités dues par le constructeur en raison du retard de livraison. Et que la redevance annuelle versée par le club, seule ressource prévue pour elle à hauteur, a été considérablement réduite (voir plus bas).
LE STADE D'UN CLUB PROFESSIONNEL N'EST PAS UN SERVICE PUBLICSur le fond, le rapport conteste la légitimité même d'un PPP pour un tel équipement, "ce recours ne répondant pas aux critères légaux" : "Ce stade, destiné prioritairement aux matchs de l’équipe professionnelle de l’OGC Nice et pouvant accueillir le reste du temps des concerts ou des activités de séminaires purement concurrentielles, ne constitue pas un équipement nécessaire à un service public relevant de la responsabilité́ de la commune." Cette dernière "n’a pas démontré́ se trouver dans l’impossibilité́ de définir ses besoins et de pouvoir conduire elle-même ce projet à la complexité́ alléguée par elle, laquelle résulte pour une grande partie du contrat lui-même" [1]. Pour les magistrats, la collectivité aurait très bien pu réaliser le stade en maîtrise d'ouvrage public.
La Chambre s'est aussi intéressée de près au centre commercial Nice One, intégré au projet et "de facto payé en partie par la commune". Elle estime "qu'au regard du centre commercial, le stade n’est qu’un volet de l’opération et, sous l’angle économique, semble accessoire", et note que "Nice One est l’un des principaux bénéficiaires finaux du contrat de partenariat". Alors qu'il ne rentre absolument pas dans les attributions d'un PPP de financer une telle opération. Cerise sur le gâteau : l'un des deux propriétaires gérants du centre commercial n'est autre que Jean Bessis, actionnaire de l'OGC Nice, qui a pu en racheter les droits auprès de Vinci – sans mise en concurrence.
À l'arrivée, le stade de Nice présente un coût à la place parmi les plus élevés des nouveaux équipements construits en France : 6.110 euros contre 4.350 à Bordeaux, 4160 au Mans, 3.200 au Havre et 3.000 à Valenciennes. Seul le grand stade de Lyon le devance avec 6.980 euros prévus.
TOUS LES RISQUES POUR LA VILLE, Y COMPRIS SPORTIFSÀ tous les niveaux de l'opération, c'est la collectivité qui assume les risques et l'essentiel des coûts, les bénéfices étant, eux, diligemment garantis aux "partenaires" privés. "La commune assume une part majeure des risques. Les clauses du contrat ont par ailleurs déjà̀ été́ déformées pour reporter sur la collectivité́ des risques qui devaient être supportés par le partenaire [Vinci]".
La CRC déplore aussi que "le contrat de partenariat prévoie que l’aléa sportif est intégralement supporté par la commune" : relégation en Ligue 2 (le contrat ne prévoit même rien en cas de descente en National), faillite du club (malgré le précédent édifiant du Mans) ou réduction de la Ligue 1 à dix-huit clubs, que l'évaluation préalable jugeait "très incertaine" alors qu'elle est dans l'air depuis plusieurs années.
La bienveillance de la Ville à l'égard de l'OGC Nice est remarquable. La redevance due par le club, originellement évaluée entre 3 et 4 millions d'euros annuels, s'est avérée complètement surévaluée, en même temps que l'augmentation des recettes de billetterie attendue du nouveau stade. En conséquence, la part variable liée à celles-ci a peu de chances d'être déclenchée : la Ville devra se contenter de 1,87 million, c'est-à-dire la part fixe… Ceci alors qu'elle fait par ailleurs cadeau d'un certain nombre de prestations [2]. À Lille et Bordeaux, l'investissement des communes est beaucoup mieux sécurisé, affirme le rapport.
Les chiffres de fréquentation du nouveau stade pour ses deux premières saisons confirment déjà son surdimensionnement. Remplie aux deux-tiers lors de la première (le club avait fini 17e du championnat), l'enceinte ne l'a plus été qu'à moitié lors de la seconde, qui a vu le taux de remplissage revenir à hauteur de celui du Stade du Ray (pour un classement final à la 11e place).
Autre signe alarmant : le stade a été très loin de faire le plein pour la plus forte affluence de la saison dernière, avec 25.407 spectateurs lors de la réception de Marseille (contre 35.030 lors de celle du PSG, en 2013/14).
AU PRIX FORT POUR LA COLLECTIVITÉ
Le montant des redevances versées par la Ville reste dans le flou, en raison d'une indexation obscure. Mais les rapporteurs ont calculé que "la commune devra s’acquitter de 10 à 15 millions d'euros par an, pour un équipement dont elle sera propriétaire dans vingt-six ans, mais dont elle n’a en réalité, durant cette période, pas véritablement la jouissance, ou de manière extrêmement marginale".
Plus grave, ces redevances constituent, pour une large part, en exonérations fiscales diverses : ainsi, la cotisation économique territoriale, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et la taxe foncière sont-elles refacturées à la Ville, tandis que "la plupart des impositions dues à raison du stade sont payées par la commune" (dont, entre autres, l'impôt sur les sociétés ou la cotisation économique territoriale). La CRC établit à 22 millions d'euros la perte de fiscalité et à 50 millions le remboursement des impositions dues à la métropole et au département. Soit 72 millions de "subventions" au partenaire sur la durée du contrat.
Comme on l'a observé pour d'autres projets de stades, le volume de l'activité hors-football a été considérablement surévalué. Ainsi, aucun concert n'a eu lieu à l'Arena de Nice, et les événements d'entreprise ou privés sont très loin d'atteindre les deux-cents dates annuelles envisagées. Au point que la Chambre reste perplexe sur le modèle économique du partenaire : "La commune n’a obtenu de NES ni le plan d’activité et le modèle économique de l’exploitation du stade, ni le contrat de nommage avec Allianz. Ces recettes demeurent donc inexpliquées." Mais l'explication n'est pas loin : "(…) les profits de NES résultent moins de l’exploitation du stade que de la rémunération des capitaux propres investis dans le projet pendant une dizaine d’années."
LES PPP, DÉSASTRE PROGRAMMÉ
Les contribuables niçois héritent d'un stade surdimensionné, qui va leur coûter très cher durant trois décennies, encore plus cher si l'OGC Nice connaît des déboires : engager les finances publiques d'un stade envers les résultats sportifs d'un club de football est probablement la plus grande aberration du financement des stades.
Le contrat du stade de Nice illustre de façon presque caricaturale la "bombe à retardement" des partenariats publics-privés, selon l'expression d'un rapport parlementaire de l'an passé. On peut retenir ce verdict de la Chambre régionale des comptes PACA : "Les subventions publiques et les redevances versées par la commune au partenaire privé financent la quasi-totalité de la construction et de l’exploitation du stade." Socialisation des coûts, privatisation des bénéfices, telle est la formule de ce système pourtant présenté comme gagnant-gagnant. Ses pièges étaient faciles à démontrer, mais l'apologie nationale du PPP comme une panacée et l'élan national nécessaire à la candidature à l'Euro 2016 ont coupé court au débat.
Pour rendre possible cette mystification, pas seulement à Nice, il aura fallu une base idéologique – le dogme de la réduction des dépenses publiques et de l'endettement des collectivités, qui a conduit à des solutions encore plus dispendieuses. Mais aussi un mélange, à déterminer, entre la négligence des élus envers leurs responsabilités et leur complaisance à l'égard des intérêts privés. La municipalité de Christian Estrosi aura versé une édifiante contribution à ce dossier.
[1] Le rapport précise : "Consciente de cette faiblesse, la commune a d’ailleurs tenté, sans succès, de faire modifier la loi afin que soit supprimée l’exigence d’une affectation au service public des stades, objets d’un contrat de partenariat."
[2] La fourniture des fluides (85.000 euros annuels), l'entretien de la pelouse et le transport des spectateurs en bus-navettes – "une aide économique irrégulière au club, entreprise privée à laquelle la commune ne peut accorder des prestations de service gratuites".