Affaire du Grand Stade : “Si l’on soupçonne des faits de corruption, que l’on dépose plainte”Fin mai, deux fonctionnaires de la Communauté urbaine de Lille, chargés du dossier du Grand Stade, ont été mis en examen pour des faux présumés, dans l’affaire du choix du constructeur du Grand Stade de Lille Métropole. Dailynord a interviewé leur avocate.« Cette montagne va accoucher d’une souris », résume Blandine Lejeune, avocate des deux fonctionnaires de Lille Métropole Communauté Urbaine. L’information judiciaire, ouverte en 2008 suite à la plainte d’Eric Darques, militant de l’association Anticor, qui lutte contre la corruption et pour la transparence en politique, vise à savoir pourquoi le projet d’Eiffage, qui représentait un surcoût de 108,5 millions d’euros par rapport à la proposition de Norpac-Bouygues, a finalement été choisi. Et surtout pourquoi le rapport initialement favorable à Norpac le 23 janvier 2008 ne l’était plus au 1er février et n’a pas été transmis aux élus lors du vote.
Les deux fonctionnaires mis en examen sont justement entendus pour cette histoire de changement de date. Sur la délibération, une note de bas de page, proposant Eiffage vainqueur, a jeté le trouble sur la transparence de la décision : elle était datée du 1er février 2008, jour du vote des élus en assemblée plénière. Alors que le document technique daté du 23 janvier, qui plaçait Bouygues-Norpac en tête, n’a pas été transmis aux conseillers communautaires.
Un faux contesté
Leur avocate, Blandine Lejeune, conteste carrément la qualité de faux au document en question. Car pour faire un faux, il faut une intention frauduleuse. Selon la jurisprudence établie, un faux sur une date doit faire courir des conséquences juridiques – comme par exemple un délai ou une prescription – et causer de ce fait un préjudice. “Rien de tout cela en l’occurrence. Je suis intimement convaincue de l’intégrité de ces deux fonctionnaires”, conclut-elle.
Selon elle, il ne s’agit que d’une maladresse administrative, un malentendu d’ordre technique. Les procédures ont été respectées en particulier celle du partenariat public-privé, le régime juridique et financier de l’opération ainsi que du contrôle de légalité par les services de l’Etat qui n’ont rien trouvé à redire quelques semaines après.
Reste que cependant, le classement des entreprises candidates a quand même changé entre l’analyse des offres et le vote décisif. La notation d’Eiffage s’est retrouvée devant Bouygues, initialement gagnante selon le document technique. Pour faire coïncider cette notation avec le vote final en faveur d’Eiffage, les fonctionnaires auraient donc joué avec la date du 1er février, pour faire coïncider les dates. Un tripatouillage qui laisse perplexe.
Elections et DSK
Il est vrai que pendant cette semaine folle les discussions sur le choix du constructeur allaient bon train et que le choix final a été dicté aussi par des considérations politiques au sein d’une assemblée soumise à renouvellement, les élections municipales battant alors leur plein. C’est à partir de là que tout s’emballe, toujours selon l’avocate.
Il est vrai que, après de multiples actions de justice qui aboutissent enfin à l’ouverture d’une enquête en octobre 2012, les rumeurs et les supputations fleurissent de plus belle. le tout est ajouté à l’extravagante affaire DSK-Carlton, dont certains faits ont lieu pendant la même séquence, avec laquelle on jette – trop facilement ? – quelques passerelles pour tenter de donner un éclairage pour le moins cru. Et laisser prospérer des soupçons de corruption et de favoritisme sur fond de ballets roses.
Quod du surcoût de 108 millions du projet Eiffage par rapport à celui de Norpac-Bouygues ? Un aspect important puisque l’équilibre financier du projet n’est plus le même et pèse sur les comptes de LMCU. “Il a été justifié entre autres pour des raisons de sécurité”, avance l’avocate. Le projet de Norpac/Bouygues, moins ambitieux, comportait des gradins amovibles. Il est vrai que le syndrome Furiani – grave accident en 1992 - 18 morts dans l’effondrement d’une tribune – a probablement pesé dans les esprits.
La pression judiciaire se tourne aujourd’hui vers les politiques : on sait que Michèle Demessine, ex-présidente de la commission Grand Stade, sénatrice PC du Nord, a été entendue. La question reste entière : fallait-il alors désigner Norpac dans le rapport technique ? Et l’avocate Blandine Lejeune de conclure : “Si l’on soupçonne des faits de corruption, que l’on dépose plainte en ce sens”. Est-ce à dire que l’on se tromperait de cible et de délit* ?
*L’enquête est ouverte pour faux et usage faux et atteinte à l’égalité des candidats dans un marché public. L’élargissement de la procédure au délit de favoritisme n’a pas été décidé par le parquet. Le juge Gentil, qui a notamment instruit l’affaire Bettencourt, doit en principe reprendre le dossier cet été.