« L’IMPRESSION D’ÊTRE DES CHIENS, DES BÊTES »
Samedi après-midi, le RCL s’incline piteusement au Havre. Rien d’étonnant. Et puis, le problème fut ailleurs ; aux abords du stade, des supporters lensois reçoivent des coups. Pour beaucoup, ce 30 janvier rimera avec matraquages, sang, lacrymogènes, interpellations. Hommes. Mais aussi femmes et enfants. Alors oui, bien évidemment, certains actes commis par les supporters en tribune sont condamnables, et ces derniers donneront aux forces de l’ordre et autres médias l’occasion de taper encore un peu plus sur eux. Nous avions déjà couvert un sujet semblable, il y a quelques semaines, suite au déplacement à Charléty. Mais, voyez-vous, il est quand même intéressant de voir autant de témoignages mettant en cause la violence des interventions de la police se recouper de la sorte. Et puis, il serait également intéressant de se pencher sur la responsabilité du préfet, qui a presque attendu le kickoff pour autoriser les lensois d’entrer dans leur tribune. Pour rappel, le déplacement à Beauvais pour y affronter le Red Star s’était déroulé sans encombres.
BM a bossé avec Laurent Mazure, afin de donner aux supporters (ultras, associations, et indépendants) un canal de réponse.
« Nous demandions à des gendarmes le chemin afin d’accéder à la billetterie. Nous étions un groupe d’une dizaine de personnes. On nous a intimés l’ordre de reculer. Puis on nous a gazés. Il y a eu plusieurs coups de matraque en présence d’enfants, de femmes. » Cette première source contactée, qui préfère rester anonyme, raconte son arrivée aux abords du stade Océane ce samedi. Il est un peu plus de midi.
Ce supporter, venu en voiture avec quelques amis, ne s’est pas garé sur le parking exclusivement destiné aux supporters adverses. Là où, sur des dizaines de bus Sang et Or, seuls trois ont pris leur quartier. Un des North Devils, deux des Red Tigers, les premiers visés. Contacté par nos soins, Pierre Révillon, membre du groupe ultra mais aussi président de l’ANS (Association Nationale des Supporters) tient à rétablir certaines vérités : « Au préalable, nous avions joué le jeu en envoyant un courrier afin que le déplacement soit autorisé. Nous avons respecté le point de rendez-vous. A midi, nous arrivons aux péages de Saint-Romain-de-Colbosc sur l’A29, ou l’on rejoint plusieurs autres bus. On nous signale que l’on va rapidement prendre la direction du Havre. Et que nous pourrons boire et nous restaurer sur place. Mais là , première surprise. Malgré la présence d’autres autocars, seuls nos deux bus Red Tigers ont été escortés. » Avec celui des North Devils, groupe du président Loïc Willer : « Nous avions 20 fourgons de CRS pour 3 bus ! »
Ces derniers arrivent au parking réservé aux visiteurs. « Tout était grillagé », précise Pierre. Florian Gardé, fan des Sang et Or et indépendant, informe que tout a commencé par l’impossibilité des RT94 de sortir de cet espace afin d’aller se restaurer. Nous sommes à plus de deux heures du coup d’envoi. Pierre confirme : « Des responsables de supporters du Havre m’ont dit qu’il y avait une fan zone. On pouvait aller à un endroit en ville pour manger. Nous avons voulu sortir. Et là , un policier a violemment poussé une femme d’un des Red Tigers. Cela a commencé à chauffer, sans qu’il y ait le moindre jet de projectile. » Pas encore. Les prémices d’un après-midi sous haute tension. Environ 40 Tigers se tenaient derrière l’une des 2 portes, prêts à sortir. Puis, là s, ils sont remontés dans le bus. Quelques-uns sont restés dehors, s’amusant à courir devant quelques CRS. « Dans une ambiance assez bon enfant », précise Pierre.
Les CRS ont décidé de gazer afin de disperser tout ce beau monde. « Cela a commencé à partir. Les CRS visaient sous le préau, où s’étaient regroupés environ 200 supporters. » Jets de projectiles, flashball, gaz lacrymogène… « On ne voyait plus rien. Nous essayions de respirer. Des gens ont pété un câble. Nous avons du mal à comprendre pourquoi ils ont gazé, s’interroge Pierre. C’est la première fois que je vois ça en déplacement. Des mecs sont tombés par terre. Une femme, qui porte des lentilles, ne voit plus depuis hier d’un œil. Elle va porter plainte ! » De ce fait, les fans artésiens ont répliqué par des jets de canette. « Par vengeance… »
L’attitude irresponsable des CRS est également soulignée par « KOP », un forumeur du site officiel artésien. « Ils ont gazé dans le tas, provoquant un mouvement de panique qui aurait vraiment pu être plus grave que cela n’a été. » Il n’y a pas eu de « blessé grave mais voir des gamins, des femmes ou même des personnes lambdas être asphyxiés, en larme et en état de choc, tout ça parce que les CRS ont riposté de façon massive et non différenciée ». Des propos confirmés par Florian Gardé : « Des gens se sont fait frapper. Cela aurait pu être moi. Il ne fallait surtout pas se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. » Dans le tas, beaucoup de supporters n’avaient rien demandé.
On le sait. A chaque déplacement, l’alcool coule à flot. C’est un secret de polichinelle. Personne ne s’en cache. Cela fait partie du folklo de ces voyages qui soudent un groupe. Et qui, malheureusement, accentue des réactions disproportionnées, parfois démesurées. « L’alcool a joué, confie Antoine Lair, inconditionnel lensois. Une demi-heure avant le match, un supporter lensois est arrivé blessé. Cela résultait d’une bagarre entre supporters lensois. Ils ont aussi une certaine responsabilité dans ces altercations. » Même son de cloche du côté de notre source anonyme : « L’alcool a dû jouer. » Florian Gardié, lui, évoque des « bagarres entre supporters. Cela faisait peur. Si j’avais ramené mon enfant, oui je serais parti. » De son côté, Pierre voit plus large que le simple impact des boissons alcoolisées. « Pas plus que d’habitude », promet-il. L’énervement a également eu son rôle.
Il est environ 13h30, l’interminable attente afin d’entrée dans le stade Océane débute…
« Des animaux »
« Il n’y avait aucune communication, lance Florian Gardié. Nous étions là , on attendait sous la pluie. J’avais l’impression d’être un chien. » Un sentiment partagé par beaucoup, à commencer à Antoine : « J’ai entendu que les supporters attendaient désespérément de rentrer. Les CRS commençaient à s’énerver. L’ambiance était électrique. Cela a envenimé les choses. Les CRS nous bousculaient. Dans le couloir, ils étaient quasiment un CRS pour un supporter. Je n’ai jamais vu ça. A croire que nous étions des bêtes. Certains avaient un rire jaune. D’autres étaient énervés. Cela se bousculait de partout. » Florian reprend : « Les policiers se foutaient de la gueule de quelques supporters de Lens. On entendait des « pinpins » fuser. Une personne handicapée souhaitait passer. Mais un CRS lui a répondu : « Non, c’est pareil pour tout le monde. » » De son côté, Loïc Willer a « halluciné. Nous étions tous dans un petit couloir. Tous les stadiers, CRS nous encerclaient. Ils étaient sur les dents. Nous étions réellement des animaux ! »
Antoine Lair revient à son tour sur cette interminable attente : « On nous avait dit d’arriver une heure avant le coup d’envoi pour retirer nos billets. La mauvaise surprise, les grilles se sont ouvertes 5 minutes après le coup d’envoi pour aller les chercher. Nous sommes rentrés après dans le stade vers 14h40, 10 minutes après le coup d’envoi. Nous sommes restés 5 minutes à l’entrée car il y a eu une altercation entre CRS et supporters. Puis un quart d’heure bloqué dans les couloirs. » Une altercation ? Les Red Tigers souhaitaient retourner à leur bus à la mi-temps, apprenant les premières interpellations (3 au total, un a été relâché, 2 ont été auditionnés). « Nous avons été chargés par les CRS lorsque nous souhaitions sortir, nous informe Pierre Révillon. Avec leur matraque, ils visaient les visages. » Les North Devils ont également subi la foudre des CRS sur ce coup.
Sabotage puis retour au calme
Etat d’urgence oblige, beaucoup de supporters ont pu passer sans le moindre contrôle, sans la moindre fouille. Les premiers chants contre la Ligue, contre les policiers ont commencé. Pierre Revillon ne s’en cache pas. L’énervement a pris le dessus sur la raison. En première période, un premier fan voit son siège céder. Il n’en faut pas plus pour qu’un « Tous Ensemble » destiné notamment à « arracher » quelques sièges ne se mette en marche. De la colère. Un sentiment d’incompréhension prédomine. « Avec leurs mesures contre-productives, ça allait péter. C’est arrivé », lance le président de l’ANS. D’eux-mêmes, plusieurs supporters ont balancé leur siège sur la pelouse havraise. Le but ? « Montrer leur désaccord, saboter », ajoute Florian. « Il fallait réagir. Nous ne pouvions pas sortir, nous étions bloqués. Il fallait faire quelque chose », déclare pour sa part Loïc.
Après le repos, ces mêmes capos ont, cette fois, appelé au calme. La tension redescend doucement. Les Red Tigers n’ont pas bâché. Aucun chant ne fut lancé. La tête n’était pas réellement au football. « Loulou » a « essayé de calmer le truc. Il n’a pas voulu envenimer la situation », clarifie de son côté Florian.
« Ils nous dégoûtent du football »
Unanimement, les supporters avouent leur incompréhension devant l’absence de coordination, d’organisation. « Personne ne nous disait rien, commence Pierre Révillon. Il y a eu un manque flagrant de communication. L’organisation était zéro. On critique les supporters, mais malgré l’attente, ils se sont bien tenus. Et nous avons loupé le coup d’envoi… »
Personne ne se souviendra de ce périlleux et indigeste déplacement. En tout cas pas pour les bonnes raisons. Pas Antoine, dont sa copine mettait la première fois les pieds en parcage adverse. Pas Florian et ses amis, venus de Reims par leur propre moyen. Pas non plus les représentants de section, dont Pierre Revillon. « Aucune décision n’a été prise au sein des Red Tigers. Nous ferons certainement quelque chose. On est arrivé à un point de non-retour. Ils sont en train de nous dégoûter du football. Je ne comprends vraiment pas pourquoi on nous a enfermés dans un enclos. D’autant plus que tout se passait bien avec les fans havrais… »
Laurent Mazure, en collaboration avec Louis de Finesse
*Les supporters du Havre contactés n’ont pas souhaité s’exprimer puisqu’ils ne disposaient d’aucun élément suffisant. Un choix totalement compréhensible.
**Gervais Martel, le président du RC Lens, recevra ce lundi soir les sections de supporters. Un rendez-vous prévu depuis quelques temps.