MON CHER LÉONLe stade Léon-Bollée du Mans a fermé ses portes pour faire place à une Arana sponsorisée. Un habitué prononce l'oraison funèbre.
Texte initialement posté sur le forum des rillettes, le mardi 21 décembre.
Bon, on ne sait jamais trop quoi écrire dans ces moments là , tu m'excuseras d'avance pour le manque de tact. C'est avec une tristesse non feinte que je t'écris cette e-lettre. Parce que ce soir, c'est ta dernière. Enfin normalement. Ça fait un moment qu'on t'annonce mourant, mais entre les sous-traitants grecs qui ne savent pas souder un toit, la tempête ou les délais fantaisistes qu'on est prêt à mettre dans un cahier des charges pour avoir un financement, on t'a laissé pas mal de répit. Mais là , ça sent bel et bien la fin pour toi.
Excuse-moi pour le tutoiement, mais je t'ai suffisamment côtoyé pour me le permettre. J'en ai perdu du temps avec toi. Tu objecteras que tu m'avais tout de suite mis dans le bain: un 0-0 contre Bourges un glacial mercredi de décembre, dans un stade désert, abandonné par l'ensemble de mon équipe. Le seul du village à avoir des parents suffisamment inconscients pour me laisser venir te voir. J'avais dû insister pas mal, depuis le temps qu'on m'avait parlé de toi. Déjà tu n'étais pas franchement joli. Tu n'avais pas encore tes horribles tribunes en ferraille qui ne résistent pas au vent derrière les buts, mais t'étais moche quand même. Tu as raison, Le Mans n'a jamais été réputé pour son architecture, on peut dire que tu t'intégrais parfaitement dans le paysage dans ce cas.
Le plein pour la CoupeMais malgré tout ça, je suis revenu. Et pas qu'une fois. Parfois parce qu'on m'y invitait, souvent de ma propre initiative. Tu peux rigoler en repensant à mon éducation footballistique faite à base de Régis "jamais un tacle" Benardeau et Willy "toujours trop de tacles" Bolivard. Ces horribles défaites sur une sortie ratée de Pédémas ou un énième loupé de Bakari. Cette super D2, qui se transformera rapidement en D2, parce que faut pas déconner non plus, il n'y avait rien de super. Tous les ans, tu étais plein pour la venue de l'équipe de D1 qu'on prenait en Coupe. Christophe Cocard qui me fera dire le lendemain dans la cour de récré que c'est l'attaquant le plus rapide de France, voire du monde... C'est ça, rigole, comment je pouvais savoir en 96, sans Internet, que c'est Penaud qui était juste le défenseur le plus lent de France? Puis le Metz de Pires, le Monaco d'Henry et Anderson. À chaque fois on perdait, mais il y avait toujours autant de monde l'année suivante.
Et ne sois pas triste, on en a vécu pas mal des bons moments tous les deux. Ce quart de finale contre les horribles Lavallois. Où tu exploses littéralement sur le doublé de Momo Haddadou. Ces sourires radieux sur les visages en traversant le pont en allant chercher la voiture sur le parking improvisé en bas des murailles du vieux Mans. Et le coup franc de Chiumento qui va nettoyer la lunette de Barthez. La bicyclette de Tulio, après avoir vu Matsui réussir tout ce qu'il voulait durant toute la partie. Les supporters marseillais qui ne maitrisent pas le vent et qui foutent le feu à leur tribune à cause des fumigènes. L'équipe B qui sort l'ogre lyonnais de la coupe Moustache. Cet épique 4-5 contre des Lensois qui iront se faire insulter par banderoles interposées au stade de France. Et puis tu as vu les débuts du petit attaquant ivoirien, tu sais celui qui devrait se muscler un peu s'il veut faire carrière. Drogba, c'est ça. Tu as aussi vu ceux de Thomert et Fanchone, mais on peut pas gagner à tous les coups. Non, tu as eu une belle seconde vie Léon. Il est temps de passer la main.
D'un autre siècleAlors oui, toi aussi ça te fait sourire qu'on donne le nom du stade à une boite qui a changé de nom pour enlever la référence directe à la ville. Mais le nouveau patron, il a dit qu'il était hyper attaché à la ville, il compte même supprimer les bureaux parisiens, tellement Le Mans c'est chez lui. Et tu connais quelque chose, toi, qui a plus de valeur que la parole d'un assureur? Son argent? Oui, peut-être. Mais bon Léon, faut te rendre à l'évidence, tu n'es plus grand chose dans le monde d'aujourd'hui. Ta calculatrice mécanique? Non mais t'es sérieux? Les frères Wright? Plus personne ne connaît. Si tu demandes dans la rue, il y a plus de chances qu'on te réponde "avant-centres de Derby County" que "pionniers de l'aviation". Et pourtant, Derby County, plus personne ne connaît non plus. Tes voitures? Mais c'est comme les avions, Léon, t'es trop 19e siècle. Avions, voitures, c'est du passé. Et puis ça pollue. Surtout les tiennes. Zéro tracas, zéro blabla, oui c'est ridicule, mais les gens connaissent. T'as pas su évoluer Léon. Et on vous laisse quand même la principale avenue de la ville, à toi et ta famille. Profitez-en jusqu'à la mort de Steevy.
Allez Léon, il est temps de se quitter, le temps de ta seconde mort est arrivé. Je t'avoue que la première m'avait très peu marqué. Et t'inquiète pas, il restera des vieux cons comme moi qui continueront de faire croire qu'un Le Mans-Amiens le 3 janvier derrière tes buts, pas protégés de la pluie et du vent, c'était autre chose que les écrans géants du MMArena. Qu'un vrai stade, il doit être en centre-ville, pas derrière la rocade. T'imagines, toi, un stade avec un vrai parking? On est d'accord, c'est n'importe quoi. Donc de ce côté-là , ne t'inquiète pas, question vieux con, j'y arriverai. Car finalement, c'est sûrement ça qui me fait le plus mal dans ta mort. Bourges, c'était il y a dix-neuf ans. Quasiment jour pour jour. Pourtant le siège glacé de ta tribune Chancel, je t'assure que je m'en rappelle comme si c'était hier.
Bonne mort mon Léon.